QUELQUES ECHOS CRITIQUES RECUEIL PAR RECUEL
- À propos de Dire
(Petit Véhicule, 1998)
* Michel-François LAVAUR Traces 132 " [...] proses ou vers, la maîtrise est certaine. "
- À propos de Midis sans ombre (Librairie-Galerie Racine, 2002) (Prix Jean-Claude Renard, Grand Prix de la Ville de la Baule, 2003)
* Bruno SOURDIN, Ouest France, 14 mai 2002 Midis sans ombre.
Ce recueil de Martine Morillon-Carreau s'appuie sur des sensations, des
émotions et des souvenirs des Antilles. Quête de la lumière et rapport
amoureux au monde. Ces beaux poèmes sont traversés de poissons volants,
de chants des coqs en plein midi et du parfum des frangipaniers. "
Soleil qui bourdonne / Des insectes en proie aux fruits / Senteurs pour
l'ivresse ". Ce voyage est rythmé par des séries de haïkus qui ramènent
le poète à son intériorité, à la quête d'une présence. (Librairie-Galerie Racine, 23 rue Racine, 75006 Paris)
* Emmanuel HIRIART Poésie/première n° 24 " Au commencement était le songeet songe appel vers le songeuret le songeur était le songeavec hors l'avant l'après cette flammeune lumière qui ne se consumerait pas
Dès ce commencement où s'entend l'écho de Saint Jean mais aussi des
mythes hindous, Martine Morillon-Carreau situe l'ambition de ces
poèmes, quête et réminiscence d'une lumière au-delà de la lumière, de
l'un qui se rêve rêvant le multiple. Elle cherche " à l'œuvre en l'ombre la clarté "
pour en partager le fruit unique. Cette poésie tendue vers la lumière
métaphysique de l'autre côté du symbole sait dire aussi pour le
cristalliser le quotidien antillais: Dans les rires l'appel la fumée des poissons qu'on grille / odeurs de rhum de citron vert et de soleil .
Ce recueil est comme un long poème où alternent, comme l'inspiration et
l'expiration, des séries de haïkus où l'on surprend serpent bleu le ciel / ruelle d'ombre et de pavé / l'appel du soleil et des versets plus amples, à la syntaxe tendue parfois jusqu'à la rupture, qui les reprennent et transforment. "
* Michel-François LAVAUR, Traces 147 " [...] Pour ma part (peut-être parce que la poésie du Japon est un de mes centres d'intérêt), ce n'est pas l'image géographique qui m'est d'emblée venue à l'esprit devant le titre du livre de notre amie, mais les Fourmis sans ombre de Maurice Coyaud, voire, pour se rapprocher encore des poètes du haïku, à ce fourmi sans ombre que l'on doit peut-être - je n'ai pas ici de quoi vérifier - à Seishi... "
* Marie-Hélène VERDIER, 7 à dire 02 "...Ô ! j'ai lieu de louer ! " Quel vers plus juste que celui de Saint John Perse pourrait introduire aux Midis sans ombre de Martine Morillon-Carreau ? Nous sommes aux Antilles, là où, vraiment, midi est sans ombre. D'une main cannelle
vous feuilletez les pages. Et voici que des lieux ( sans toponymes ),
des paysages, des moments, arrêtés dans la lumière, vous éblouissent,
avant de venir rêver sous vos paupières, comme autant d' "images à
Crusoé ". Vous voici familier d'une faune, d'une flore dont le poète
nous rend merveilleusement l'amoureuse présence : l'agave, " hampe
jaune ", les campêches, les flamboyants "lumière de sang ", et l'arbre
" appelé par les femmes monbin / mais oubon
par les hommes ", sans oublier l'arbre à pain, 1' " artocarpe "...Et
toujours, près des flamboyants, le cri des coqs éblouissant midi de
leurs flammes... Sur la mappemonde, " la mer jacinthe "cerne vos
flancs de gouache. Vous remontez le sentier vers la maison, éprouvez
sous la main " la peau d'arbre du vieux portail ", vous apportez " la
langouste bleue " tandis que " le lit de courbaril luit sous la
moustiquaire ". Les hommes sont " à miquelon "- cherchez le sens du mot
!- on entend au loin rire les lavandières près des radiers. Demain tôt
vous irez dans les mangroves fabuleuses pleines de " crabes guetteurs "
où crie le " héron caïali ", ou bien près des " figuiers maudits " dans
les ruines, tandis que, sur la plage, la petite fille joue " à d'autres
volcans d'autres îles / avec l'eau le sable / et la fraîcheur
solennelle de l'enfance ." Car ce recueil ce n'est pas seulement un
album pailleté d'îles et de volcans, c'est un voyage vers un ailleurs
fait de magie, et de l'étonnement propre à l'enfance. C'est " née de la
nuit du plus sombre de l'ombre " comme le dit le poème inaugural, une "
lumière proclamée " au fil de ces midis sans ombre, et vous, vous êtes,
au fil des pages, ce " songeur en proie à la lumière comme un désir ",
vous acheminant vers ce " quelque chose en marche ", " quelque chose
tout au bout du bleu " dans une " épiphanie " parfois de nuages vers la
nuit, toujours recommencée, mais " qui s'apprête au parfum des fleurs." La
composition du recueil n'est pas laissée au hasard des sensations et
des émotions : elle prend la forme rigoureuse, à la fois solennelle et
familière de la fugue. De reprise en reprise, de thème en thème qui se
devancent et se retrouvent, des poèmes longs suivant les poèmes courts
comme des haïkus, ce recueil offre le plaisir de la fuite et de
l'enracinement, la joie de l'ici célébré et de Tailleurs désiré, la
quête, sans orgueil, d'une lumière prise aux nasses joyeuses des
filets, débordant de poissons multicolores comme un chapelet d'îles. "
En proie à la lumière comme un désir ", au sein de la " nuit bavarde "
- quel adjectif heureux !- tel puisse être le lecteur, songeur
émerveillé de ces Midis sans ombre
( où la présence même du poète s'abolit, délicate attention ! ), tandis
que le grammairien savourera, le livre refermé, le " palimpsestueux "
plaisir de la syllepse qu'offre le titre.
* Yves COSSON, extraits
du discours sur Midis sans ombre pour la remise du Prix
Jean-Claude Renard (Grand Prix de la Ville de La Baule 2003) [...] ces midis sans ombre,
ces instants où règne le soleil dans sa royauté zénithale, dans
l'ivresse de cet envahissement charnel et spirituel d'une lumière
éblouissante - l'illumination rimbaldienne ou celle des mystiques - à
moins que le triomphe solaire soit impitoyablement destructeur, le feu
du ciel ou le buisson ardent. Car il est vrai de dire que la vie est
dans la mort et réciproquement [...] Martine
Morillon-Carreau possède ce don d'exprimer l'instant où se cristallise
l'émotion, cette volonté de savoir dire les moindres mouvements des
plantes, les modifications brutales de l'heure, la proximité du silence
de la mer, des vents prédateurs, des grondements de la terre
volcanique. Par elle tout déploie ce charme poétique étrange et
indicible qui se referme sur les mystères de la vie et du monde.
Martine Morillon-Carreau possède les pouvoirs de l'enchantement
poétique. - Sur Le Jardin du porte-plume (Sac à mots édition, 2005) * Marie-Hélène VERDIER, 7 à dire 17 "
La plume du poète écrit avec élégance. Des poèmes d'une typographie
recherchée, d'une grande technicité, créent un espace-temps à la fois
mystérieux et familier. Rien d'hermétique ici pourtant. Si l'on perçoit
une respiration toute reverdyenne, où le trait le dispute au silence,
la voix de MMC s'entend , très personnelle, à travers des poèmes
haletants ou contemplatifs, qui unissent avec bonheur l'écrit et le
parlé, les choses vues (avec quelle justesse de sensation !) aux
souvenirs, au regard intérieur... Poèmes d'un lyrisme sobre, mais
émouvant souvent. Poèmes à la forme impeccable [...] Le dernier poème
du livre fait entendre les notes de verre d'un oiseau siffleur. Ces
notes qui invitent à un ciel spirituel font un pont enchanté avec le
précédent recueil de MMC : Midis sans ombre. Fermons les yeux sur ces
notes. S'il fallait dire en quelques mots ce qui fait le prix de la
poésie de MMC et le maintient ici [...] à la hauteur à laquelle elle
nous a habitués, c'est un souffle à la fois sensuel et spirituel, c'est
la précision du trait comme un éclat de verre et la ferveur du mystère,
car la beauté comme l'amour se révèle à sa flamme.
* Yves Jean BELŒIL-BENOIST, Traces 159 Le Jardin du porte-plume, poèmes de Martine Morillon-Carreau, accompagnés de sept dessins et enrichis d'une œuvre originale de Chantal Atelin (Sac à mots édition, " la Sauvagerais ", La Rotte des bois, 44810 La Chevallerais, collection " Traits pour traits ", 52 pages) ---o---
Comme dans ses recueils précédents, s'appuyant sur des sensations,
toujours sensible aux allées d'ombre comme à la lumière, aux images
statiques des bordures de ciment haies taillées comme à la
dynamique du mouvement de dentelles déchirées, à la ferveur du silence
comme aux moindres bruits (tel le regard qui glisse contre l'écorce
effleurée), aux parfums d'une jacinthe sur l'étagère comme aux formes
de petits nuages fugueurs, Martine Morillon-Carreau n'a pas à se forcer
pour faire chanter les mots, rythmer les stances ; naturellement, sous
sa plume - inspirant le titre original de ce recueil - les vocables se
suivent dans une construction subtilement délicate, dans une
composition sobrement élégante. Cette poésie ne semble pas faite pour
elle-même, comme celle de ces poètes renfermés sur leur triste
mélancolie, mais offerte comme un regard aux lecteurs, aux autres, à l'
Autre. L'absence de toute ponctuation, la
succession libre des mots, les liaisons étonnamment heureuses entre ces
derniers et les adjectifs, l'alternance de phrases courtes et de
structures plus complexes, l'absence de verbes (parfois suggérés)
mettant mieux en exergue un sujet, toujours choisi avec précision (mais
l'harmonie et la pureté de la poésie, comme du langage, ne
dépendent-elles pas toujours du choix des mots ?) nous permettent
d'entrer dans un espace comme dans un jardin, un jardin de liberté pour
admirer nombre d'images, cosmogonie à la frontière floue entre le réel
et l'irréel, le rêve et la réalité, le concret et l'abstrait ; pour
cela, sa poésie devient notre poésie. Assurément un don d'observation
délicate doublée d'une forte sensibilité, probablement un travail
intense de " forgeron " (des mots et des phrases) pour ciseler une
langue tant précise que rigoureuse. En ce
sens, ces trente-deux poèmes sont autant de tableaux proches à la fois
du pointillisme des néo-impressionnistes et de la probité des
naturalistes. Accompagnés des dessins de Chantal Atelin, réalisés sur
des calques transparents, le sentiment créé entre écriture et dessin se
trouve renforcé, laissant là encore le lecteur libre, libre de lire le
poème seul avant de découvrir la figuration graphique, libre de lire en
superposition ou libre, encore, de lire et admirer en parallèle,
d'autant plus que le trait de Chantal Atelin, aux précisions
cristallines, doit incontestablement à son inspiration de sculpteur
donnant force et valeur à la moindre ligne. S'exhalent de ce recueil des images, souffles tranquilles et mystérieux
à tel point que, les pages refermées, le jardin n'est pas clos,
laissant dans notre esprit des tableaux, des représentations délicates,
au lyrisme subtil, à la fois coloré et sobre, collection de taches de
lumière et de couleurs qui, comme toute collection, est faite pour
tenter de lutter contre le temps qui passe avec cette espérance, à
terme, d'un jardin d'Éden... Ces poésies révèlent un auteur de plus en
plus sensible, et qui, selon la formule chère à Martin Heidegger,
habite le monde (et les jardins) en poète ; il me semble que Martine
Morillon-Carreau s'y trouve bien.
* Claude SERREAU, Traces 159 Dans
la collection Traits pour traits, chez Sac à mots édition, voici encore
un bien beau livre de poèmes accompagnés par sept dessins et enrichis
d'une œuvre originale de Chantal Atelin, que publie M. Morillon-Carreau
: un ouvrage pour bibliophiles qui aiment que la qualité des textes
soit propre à suggérer un graphisme lui-même évocateur d'une autre
dimension. C'est ce que réussissent dans un univers onirique les
réalisations de Chantal Atelin, plasticienne et sculptrice, à propos de
huit poèmes dont les premiers mots constituent à eux seuls un autre
poème : " Jamais le même / Jardin de sable / Reflet / Granit gris la
pluie / L'œil mélancolique / Sur fond d'ombre / Accomplissement / Un
jour d'horizons bois bleus... " Enchantement du hasard ou choix
délibéré, en tout cas une ouverture étonnante sur le domaine poétique
de l'auteur dont la citation de Jorge Guillén mise en exergue "
Tiempo en profundidad : está en jardines " prend corps dans
l'expression à la fois retenue et lyrique de cette trentaine de textes. Clin
d'œil ou non à l'oiseau porte-plume de Prévert, ce qui se pose et vole,
et s'envole de et dans ce jardin entraîne le lecteur dans un monde en
apesanteur où perdre pied est un délice. Couleurs, senteurs, voix
d'au-delà des souvenirs conduisent au plus profond de soi, dans ce
terreau où se rejoignent toutes les enfances qui nous rendent à la fois
si différents et si proches par une sensibilité révélée, qu'elle puise
son origine au ponant ou sous les tropiques : " tout un jardin immobile
/ comme on dirait le paradis ". Bref, un " jardin extraordinaire
", grâce à des textes d'une densité forte, qu'épouse parfaitement la
netteté du trait de Chantal Atelin, au " souffle comme / de qui
dormirait sans rêve... jusqu'à l'attente immobile / d'un ciel qui se
tait ". Car dans ce remarquable in-folio " il s'agit / d'apprivoiser un
regard veilleur / jusqu'au sommeil " qui libère de tout, de la maladie,
de la mémoire déchirante et déchirée, parce que même si " un poète ne
fait pas le printemps ", on pressent qu'il y contribue grandement. D'ailleurs
aucune hésitation n'est possible lorsque s'opère la synthèse du langage
et de l'image littéraire toute embuée de culture classique dans des
vers tels que : " Accomplissement / la rose au centre du jardin /
quel miroir soleil d'or au centre de la rose ". Martine
Morillon-Carreau retrouve alors la grande tradition poétique française
dans sa forme contemporaine quand s'unissent au plaisir des yeux les
émois de la sensibilité et l'acuité de la pensée.
* Emmanuel HIRIART, Poésie / première 33 "
Il faut savoir sans nuance / la beauté comme l'amour se révèle à sa
flamme / Inspiré par l'oiseau / celui entendu jamais vu le siffleur /
son chant suspendu / notes de verre / trois ou quatre et lentes /
hautes de plus en plus / et les lèvres à la sève / du ciel jusqu'à la
nuit verte / quelqu'un saura répondre / En route alors pour la kyrielle
/ des étoiles / Je me souviens / elles bourdonnaient à hauteur de nos
têtes ". Comme la voix du loriot (le critique prend seul ici la
responsabilité de l'identification du siffleur) le poème brûle au
jardin dans sa phrase tendue, volontiers elliptique mais sans jamais
oublier la ligne de la mélodie. Des souvenirs d'enfance enchantent le
jardin clos, s'ouvrent comme le ciel à d'autres aventures. Les saisons
reviennent chaque année différentes. Peut-être même au prochain Eden,
le serpent viendra-t-il à manquer. Le jardin du poème plie et déplie le
monde à l'infini...
- À propos de Mais c'est ailleurs toujours (Sac à mots édition, 2008) * Jean-Claude Albert COIFFARD, Incognita n° 4 MARTINE MORILLON-CARREAU : Un lieu entendu On
regarde le livre (1). On le soupèse. Presque cent cinquante pages...
C'est beaucoup pour un recueil de poésie. Va-t-on se régaler ? On lit
le premier poème. Et le deuxième... Et on se régale. Avec plaisir, on
relit " Mais c'est ailleurs toujours ". Les mots s'accrochent à vous.
Ils vous cramponnent. Ils ne vous lâchent plus. C'est ça la bonne
poésie. Un chant que l'on n'oublie pas. Que l'on ne peut pas oublier.
Le son d'une voix apporté par des mots. Des inflexions que l'on
reconnaîtra tout de suite et qui, rapidement, vous deviendront
familières. Telle est la poésie de Martine Morillon-Carreau qui prit
son essor avec le recueil " Dire " (2) et qui, aujourd'hui, s'épanouit
dans la recherche d'un Ailleurs. Une recherche qui est une trouvaille,
au cours de laquelle les mots cadencent une certaine vision du monde,
une certaine beauté, une approche des choses - de l'homme, du secret de
son cœur et du mystère de son âme. Et cela avec, de temps à autre, une
déstructuration de la syntaxe afin d'ordonner une restructuration du
monde. Un rythme qui conserve ou accentue le lyrisme. Vous savez un
seul mot suffit - placé, déplacé ou ôté, et le poème est là. Et il
habite la mémoire. Au fond de la mémoire, au tréfonds - dans l'antre
d'un cri, couleur d'encre. On l'écrit, le poème ; on le rature ; on
l'efface ; on l'écrit de nouveau et soudain il est là - palpitant
d'étoiles. Des étoiles que Martine Morillon-Carreau jette sur la terre
du livre et qui jalonnent un chemin vers Ailleurs - un parcours dans le
labyrinthe du temps. Un Ailleurs qui est sans doute là, sous nos yeux,
dans une rue sans ombre d'un village qui tutoyait la mer. Poésie
d'attente et de silence. Viens /Je suis l'attente et le silence / juste
avant ce qui doit parler. Poésie qui décoche ses mots en plein dans le
mille d'une cible aux mains de l'instant. Des mots qui s'entrechoquent
pour mieux nous montrer les étincelles d'un chant. Les noces de la
lumière et de la terre. Des mots qu'il est urgent de prendre pour
partir en ce lieu peut-être entendu / au-dessus du ciel. Lieu de
silence - et du silence - recherché au bout des mots, à la fine pointe
de la poésie, dans un bruit d'ailes, lorsque le monde s'ordonne sous un
ciel bleu Chagall entre tous autres bleus. Il faut savoir entrer
dans la poésie de Martine Morillon-Carreau, comme on entre dans une
église romane un jour écrasé de lumière, un jour de cigales et d'herbes
hautes, de ciel gorgé d'appels et d'ailleurs - comme on entre dans une
église romane pour ressentir, jusqu'à l'angoisse, le sentiment
d'exister.
* Jean-Louis BERNARD, Pages insulaires n°3 Peut-on
sortir indemne de ce livre ? Et comment commencer à en parler avec le
recul nécessaire sous peine d'échapper à l'essentiel ? Bien sûr il y
a de très belles trouvailles poétiques chez Martine Morillon-Carreau :
" le rien tranquille ", " un vent qui secouait l'immobile ", " l'éclair
blanc des falaises pressenties " (Char aurait été heureux de celle-là).
Et ces évocations des villes d'Espagne et d'Italie où la lumière est
crue, les fontaines brillantes et les femmes en extase (amoureuse et /
ou religieuse). Aussi la mélancolie du val de Loire et des paluds de
Guérande, la célébration de la houle et du sable (en tant que matière
première du miroir ? ) Mais que l'auteur me pardonne si pour moi
l'essentiel gît ailleurs. Par exemple en ces transes hypnotiques ("
Temps! Gangue à secouer/Temps! Secouer la cage/gangue/ ville de
glace/et d'exil! " ; " Possédée par / peau cédée à / La POESIE la PEAU
/cédée AU / RYTHME / ses départs / rythme au corps / peau et ci
/ cède et pars "), messagères d'une poésie haletante, syncopée,
dissonante, où l'objet s'éloigne du sujet (grammaticalement c'est une
évidence ; pas seulement?) Si c'était de la musique, ce pourrait être
Gershwin ( même si Satie est ici célébré). Attention, brûlure et lutte.
Au-delà des ruptures de syntaxe et phrases inachevées. Même les
caractères bougent (gras, italique, capitales dans un même poème). On
bute, on se rattrape, on monte (vers où? Aucune importance, attention
Icare). " L'autre chemin est sans chemin " disait Maître Eckhart. On
avance sans étoiles-guides, au milieu d'arbres vivants et menaçants. On
marche vers l'insu. Et en cette prose éclatée, incandescente ou
glacée, martyrisant à profusion mots et syntaxes, demeure en point
d'ancrage l'appel du vide (au vide?), le Vide fondateur de l'aventure
humaine, acteur principal du Cosmos, soutien infrangible de notre
volonté de rehaussement (" quel silence habité d'orgues / lentes /
désir sidéral "). Complémentarité des contraires purement
héraclitéenne, qu'on retrouve aussi, entre autres, dans le poème : "
J'ai trop aimé la neige.. .offre-moi le feu ", alliage qui ne donne ici
naissance ni à la fusion ni à l'extinction, plutôt à une sorte de
phlogistique, quelque chose de forcément sublime au sens physique du
terme (attention, au Moyen Age on en brûlait comme sorcières pour moins
que ça...) Quant à l'absence de transcendance, elle se jumelle
ici avec un côtoiement abrupt du mystique (douleur-plaisir), mise à
jour (pardon: mise à nuit) de l'Obscur. On cherche, on contemple, on
efface, on s'égare (aux deux sens du terme). On tente de " déchiffrer
le désastre ", on nomme la menace (pour la faire fuir? Pour vivre
avec?). Car le refuge, comme l'horizon, s'éloigne à mesure qu'on avance. Ainsi,
en lisière de la lumière si souvent invoquée dans ce livre, l'ombre
veille, omniprésente. Peut-être est-elle la seule à ne pas trahir.
Peut-être est-elle la seule à nous aider à rénover le passé, à nous
mettre nous-mêmes en veille. Et cet état de veille songeante
(pas songeuse) dans la réinvention permanente de soi, de son attente,
de sa parole et de ses silences, n'a d'égal qu'une sensation de
présence-absence flottant dans l'intermédiaire (comme les personnages
de Chagall), à distance des autres et en empathie avec eux, du moins
avec ceux qui se sont perdus et au bout de leur errance auront fait
l'expérience de la dépossession. Donc, accent mis sur le
dérisoire. De l'objectif, toujours repoussé et donc inutile, sinon
nuisible. Des mots d'ordre, d'esprit et de bon sens qu'on peut mêler à
souhait sans que change le monde (" chèvre dans un bénitier / diable au
piquet "). Et à propos de monde, où va-t-il ? Tout ne serait-il que
leurre, la lumière en tête, simple messagère du froid à venir ou
geôlière de l'homme en sa nuit personnelle ? Mais lorsqu'on
est bien conscient de ce dérisoire, il faut continuer à construire. A
stratifier les verbes (" épier guetter vérifier recouper / attendre /
échafauder déduire deviner ") comme les Compagnons Bâtisseurs du Moyen
Age (la cathédrale de Martine Morillon-Carreau ne serait-elle pas
finalement l'énigme primordiale de notre présence ?). A faire respirer
le lecteur ailleurs que dans l'attendu (" Mais là / arrête / ça vient
oui sort siffle / vrille / papier /
lu pcœur plus loin fond des âges / creux au
ventre / tripes / tout / ce /trouvé raturé froissé jeté / je /as dû / et alors nous / trahiramour haïramour / hante habite un cri
"). A élaborer une poésie consciente au plus haut point des rites des
passage, des Mystères (au sens de ceux d'Eleusis : épreuves
initiatiques pour gagner les Champs Elyséens).
La quintessence de l'écriture : loin de chercher à percer un secret,
l'entretenir et, au besoin, l'obscurcir encore. Nous y sommes.
* Marie-Hélène VERDIER " L'état d'alerte à présent déclaré... " , 7 à dire n°34 Il
me plaît de commencer par ce vers l'éloge du nouveau recueil de MMC
dont le titre Mais c'est ailleurs toujours nous dirait d'emblée, s'il
en était besoin, le pas, l'attention, le souffle, que requiert le poète
pour nous faire " aller marcher encore ", sans trêve mais non sans
répit, de poème en poème, sur un rythme pressé voire haletant - mais
qui sait aussi, Dieu merci, ménager ses haltes et ses plages de repos. "
Il est temps, il est grand temps " insiste le poète, de sortir de nos
cages et des sentiers, battus et rebattus, de nos habitudes. On le sait
bien, il y a toujours " péril en la demeure ". Sommation donc, nous est
faite ; entrons, avec le même élan qui l'a portée, dans la quête
déroutante, ô combien roborative, que nous propose ici MMC. Le
recueil se divise en deux parties d'égale longueur, mais non tout à
fait de même climat, même si, bien sûr, s'y tissent les mêmes thèmes.
La première : " des nuages et la mer est noire... " nous fait naviguer
sur une onde souvent amère vers une promesse de lumière plus aiguë,
blessante, que celle de Midis sans ombre ; au plus noir, au plus
acide de la nuit de l'âme, de la douleur, dans l'hostilité des choses,
dans " les rafales de rêves sans escales ", - à la limite parfois de la
folie - mais aussi dans les rues de Tolède ou de Rome, de Paris, de
Honfleur, de Pontivy - mais oui ! - avec leurs miracles et leurs
touristes qui " s'entrephotographient ". La forme des poèmes est d'une
extrême variété - et c'est un des grands charmes de ce recueil,
vitesse et rythme obligent : poèmes courts, syncopés, qui jouent de la
juxtaposition des vers ou des mots, poèmes conversations qui prennent
leur temps, coups de dés mallarméens, petites suites, " airs ", poèmes
oulipiens et olympiens, moments pris sur le vif de la sensation ou du
sentiment, " alphabet d'étoiles prophétiques " ou clin d'œil tendre
sous un cloître. À la variété des formes répond celle des tonalités
: lyrisme digne de Cendrars et d'Apollinaire, accent reverdyen de
tel poème d'un cœur solitaire, accents cruels, incisifs, humour
surtout, toujours et encore, noir, dur ou tendre. Non le poète ne nous
avait pas habitués à pareils vertiges. Perdus par tel poème
conversation, tel puzzle de souvenirs et de temps ? Un peu d'effort,
lecteur, un peu de suite dans les idées ! Et quand bien même nous
serions dé-routés, c'est pour le meilleur de nous-mêmes dont le poète,
citant Borgès, affirme l'unicité, à travers nos nœuds gordiens. Quant à
la mer, la mer aimée, elle est là, présente mais en toile de fond,
inquiétante parmi les choses hostiles. On dirait donc, de cette
première partie, d'un Harmonica-Zug où le poète marie, avec dextérité,
légèreté et tragique - quand elle évoque par exemple la mort de " nos
aimés " -, onirisme et réalisme, humour et gravité, dans un climat
d'urgence. La seconde partie, mise sous le signe de la lumière - "
Debout dans la grande nuit qui bouge " - avec, en exergue, le vers de
J. Guillén " la luz que más inventa ", apparaît plus pacifiée et
pacifiante, comme si l'épreuve de " la nuit lutteuse ", l'énigmatique,
à laquelle nous sommes toujours confrontés comme Jacob avec l'Ange,
était surmontée, pour un bonheur plus immédiatement sensible. Nous
retrouvons, certes, le rythme tendu de la première partie, l'ardeur de
la voix qui demande instamment " offre-moi le feu " " la torche
extatique de l'instant " mais nous nous laissons aller au charme des
souvenirs d'amour, des voyages encore et toujours !, de certains
moments privilégiés " dans leurs hauts lits d'étoiles ". Il faudrait
pouvoir citer nombre de poèmes d'une grâce merveilleuse dans leur
attaque " une nuit de bois tout autour ", " Nomade quel errant "...
ou dans leur chute si simple " ton baiser sous le cloître / son
écho d'oiseaux sous les nids d'ogives ". Le poète nous fait aimer aussi
les artistes qu'elle aime - Villeglé, Jean Branchet, C. Atelin,
... - Le poète nous dit enfin le sens de sa quête. Elle affirme union
et lutte avec ce qui est - choses et êtres, elle est voix et silence.
Quant à la mer, avec " le village qui [la] tuto[ie] ", elle est
toujours là mais elle se fait port et porte du ciel. L'Île d'Yeu, qui
nous accueille en fin de soir avec ses lis et ses œillets sauvages, se
fait offrande d'amour dans une " évidence de cigales ". Si le recueil
se clôt sur un ailleurs, car " c'est toujours ailleurs... ", c'est bien
parce qu'il a su constamment s'ouvrir à la clôture d'amour d'un jardin
secret, avec ses élans fougueux, et ses limites. Promesse nous était
faite in limine d'une lumière, on aimerait dire, au-delà de toute
lumière. Promesse est tenue d'un chant de lumière " en ce lieu
peut-être entendu / au-dessus du ciel ". Promesse " d' une vie qui
pousse " et d'un chant de lumière, car " c'est ailleurs toujours, mon
amour... "
* Arlette CHAUMORCEL "Petite suite analytique de trois ouvrages de Martine Morillon-Carreau" II
a fallu la parution aux Editions Sac à mots du recueil Mais c'est
ailleurs toujours pour éveiller le désir d'approfondissement du travail
du poète Martine Morillon-Carreau. Toute recension étant interprétation
il faut accepter, d'emblée, de faire fausse route, de se tromper sur la
démarche réelle du poète. D'ombre en soleil, de soleil en ombre la
voix heurtée, saccadée, bousculée de l'auteur, apparaît révéler un
attrait pour l'obscur, une attirance pour le vide, vide dont la protège
dans Midis sans ombre la mer, les flamboyants, le sourire d'un enfant,
même, si là déjà, on constate que : "le
manguier est noir le soleil
rouge comme une attente dans la menace des choses -
terribles à venir
_
_ Mais alors que "la nuit s'apprête au parfum des fleurs", dernier
vers du recueil, la rumeur se fait salée dans la mémoire des pierres,
dans la mémoire d'écorce, dans la mémoire d'aubier, dans la mémoire qui
ouvre sur Le jardin du porte-plume autre recueil, véritable livre d'art
accompagné de sept dessins de Chantal Atelin paru en 2005 chez Sac à
mots édition. Dans ce livre, fenêtre ouverte sur le passé, le poète
s'éveille avec les oiseaux, se souvient du "jardin des jeux de juin",
.de l'envol bleu des fleurs, "tout petits papillons de poudre et de
lavande". Mais, voilà qu'au cœur de la musique, si intensément présente
dans ce recueil, "Par la pierre .."par le granit gris de la pluiePar le fantôme de la mariéeau vent des dentelles déchiréespar le vide et le carreau cassé .. " l'angoisse,
comme dans Midis sans ombre, peu à peu, s'insinue jusqu'à la "nuit qui
hurle dans la chambre aux iris" où sommeille un amour douloureux que
déchire la douceur des "larmes ravalées" avec "au bout la vie à vivre
de la joie".
* Claude SERREAU Pour son cinquième recueil et
sa deuxième publication chez Sac à Mots (qui a d'ailleurs la main
heureuse dans le choix de ses auteurs), Martine Morillon-Carreau, avec
" Mais c'est ailleurs toujours " apporte la preuve de son talent et
s'affirme comme un poète d'envergure, tant par les thèmes traités que
par la force et la personnalité de son expression, aussi bien dans les
mots que dans les graphismes. En effet, culture et pensée
s'accordent chez cette agrégée de lettres pour une quête spirituelle,
son " de commencement en commencement ", à laquelle elle associe, comme
elle le dit, une recherche poétique à travers l'humaine condition,
entre sacré et prétendu profane. Elle reconnaît éprouver une
jubilation, qu'elle sait faire partager, à l'écriture de textes parfois
polémiques, et cela, le lecteur le ressent dans la substance même des
poèmes dont le rythme concourt à garder les neurones en éveil. Donc,
c'est sans ambiguïté aucune que, plongé dans la lecture d'un tel livre,
on est happé par ce mouvement qui tend à traduire la multiplicité de
l'expérience humaine, quelle soit proche ou exotique, voire étrangère,
à l'image de son parcours personnel. Ce recueil, riche de 96 poèmes
répartis en deux sections, " Des nuages et la mer est noire " qui se
fait l'écho de cette " nuit obscure ", et une seconde partie " Debout
contre la grande nuit qui bouge ", titres empruntés, l'un à Vicente
Aleixandre, l'autre à Jorge Guillen, poète espagnol lui aussi, ce
recueil, disais-je, est une rencontre créatrice pour une "
compréhension ", au sens étymologique, du fonctionnement spirituel de
la vie. Deux poèmes y jouent un rôle particulier : l'un, " Yabboq ",
nom du fleuve près duquel Jacob restera boiteux de sa lutte avec
l'Ange, l'expérience esthétique venant en surimpression à la démarche
de l'esprit, l'autre, justement intitulé " Esprits ", qui retrouve un
animisme africain, parce que, " couleur du sang la terre chaude ",
présences et forces concentrées dans les mots qui sonnent comme ce
tambour que Martine Morillon-Carreau évoque dans un autre texte " pour
de moissons /et des moissons d'étoiles ". Mais il ne faudrait pas
croire que, parce qu'elle est l'œuvre d'une universitaire, la poésie de
cette auteur donne dans l'intellectualisme ; si elle fait allusion à
Mallarmé ou à Valéry, c'est pour " donner un sens plus pur aux mots de
la tribu". Tout au long de cette déambulation poétique, chacun peut
trouver ses marques et faire son marché parmi d'humbles notations ou de
hautes aspirations, parce qu'au cours de ces déplacements, en Italie,
en Espagne, en Bretagne, en Vendée, ou dans Nantes, sa ville, elle sait
croquer le détail qu'elle va transmuer en bonheur d'expression, nous
interpellant par un clin d'oeil, ou nous entraînant dans une réflexion
philosophique, ou pirouettant d'un jeu de mots. Martine
Morillon-Carreau, et ce n'est pas là le moindre aspect de son talent,
est aussi capable d'envolée lyrique : " J'habite un cri dans la mémoire
", " J'ai trop aimé la neige offre-moi le feu ", comme de retenue,
d'intensité et de densité : " Sans mots pour / devant // ça // ta mort
toi mort ". Ne pas négliger non plus ses considérations sur l'art
devant les sculptures de Chantai Atelin qui fut son illustratrice, ou
sur les tableaux de peintres contemporains, ou l'œuvre d'un
vidéaste...Mais quand il s'agit de la manipulation des mots, il faut
lire ce petit chef d'œuvre qu'est le texte : " Possédée par / peau
cédée à / la Poésie, la Peau / cédée Au / Rythme " qui, mieux que toute
longue exégèse apporte le preuve que Martine Morillon-Carreau est bien
un poète de son temps, et bien dans son temps. Poète-homme quotidien
toujours près de la nature, dans cette " poésie-palimpseste ", (je la
cite), elle accepte le risque de se perdre pour mieux se retrouver !
Et, la suivant, qu'il est enrichissant d'arpenter à ses côtés les
chemins de l'émotion esthétique tant elle vous fait croire que vous
êtes plus chaleureux et intelligent qu'avant de la lire vous ne le
pensiez !
* Georges CATHALO : a/s Mais c'est ailleurs toujours , Rétro-Viseur n°112 On
lit ce livre comme un guide précieux pour parcourir un territoire
inconnu. Tous les poèmes qui le composent évoquent des lieux
particuliers liés à la subjectivité de l'auteur car ces lieux sont
habités, au propre comme au figuré : couple silencieux dans une rue de
Tolède, enfant jouant dans les jardins du Palais-Royal, nomade exilé à
Burgos, mariée dans le marais de Guérande,... Les événements, simples
ou graves, se succèdent, " et la vie pousse / tranquille / tandis que
nous marchons ". Les arêtes saillantes d'un monde troublant et
mystérieux blessent le plus souvent mais ce monde-là existe comme
existe " en nous l'abîme / comme un secret qu'on chercherait ".
Présente dans de nombreux poèmes, la nuit permet de dépasser la marche
ou l'errance pour aller vers un cheminement intérieur à travers un
labyrinthe composé de routes réelles ou de voies mentales. " Le
monde enfermé dans sa lumière / tourne aussi rond qu'il se doit " et
c'est toujours ailleurs, toujours plus loin qu'il faut se rendre en
risquant de découvrir " un désastre à déchiffrer peut-être ". Avec ce
recueil, Martine Morillon-Carreau présente une belle somme poétique
rehaussée par la réalisation de qualité d'un éditeur méritant.
* Emmanuel HIRIART, Poésie première n°43 Martine Morillon-Carreau, Mais c'est ailleurs toujours, Sac à mots, 140 pages 18 € Les
lecteurs de Poésie/première connaissent Martine Morillon-Carreau, pour
l'avoir lue à plusieurs reprises dans notre revue. Il est dommage que
tout le monde n'accorde pas à sa poésie la place qu'elle mérite. Ce
nouveau recueil confirme la qualité des précédents et marque une
nouvelle étape dans la quête poétique de son auteure ; il s'agit, ici,
d'une amplification spirituelle de ce lyrisme elliptique à forte
dimension orale. Martine Morillon-Carreau y donne la pleine
mesure de sa remarquable maîtrise formelle. Le livre est un parcours
(non sans détours, sautes de vent et soudaines accélérations) en deux
parties allant des blessures du monde à la plénitude de l'état naissant
en passant par un vide vivifiant. Même si des textes se réfèrent à
différentes expériences mystiques, Martine Morillon-Carreau ne
reste pas en extase devant l'indicible ; son originalité est d'ailleurs
sans doute moins dans l'expérience spirituelle (mais c'est peut-être un
gage d'authenticité) que dans son expression : sa recherche est avant
tout mouvement du verbe, faisant place au vide en lui pour s'ouvrir sur
un ailleurs qui toujours lui échappe mais dont l'écriture,
passant du sacrifice à l'éloge, fait l'objet d'un infini désir. EH - Sur De l'autre côté ce miroir (Sac à mots édition, 2011)
* Jean-Louis BERNARD, Pages insulaires Martine MORILLON-CARREAU et Chantal ATELIN, De l'autre côté ce miroir (Ed. Sac à mots, 2011, 36 pages, 35 €) Agrémentés
en regard de douze photographies d'œuvres de la sculptrice Chantal
Atelin (parfaitement adaptées aux textes en l'opposition de leurs
formes), les poèmes de Martine MORILLON-CARREAU avancent masqués. "
Ténèbres sans jour ou nuit ". L'absolu du gouffre alors ? Bien au
contraire, nous voici marchant en funambules sur " le fil invisible des
rêves ". Légèreté donc , souffle à peine esquissé, poésie arachnéenne ?
Vous n'y êtes pas du tout, voici " la pierre... si dure impossible ".
Ah d'accord, j'y suis, le concret, le travail de l'outil, l'homme en
lutte avec le plein. Que nenni : " Au commencement / primordial / le
vide ", " quel vide sidéral / une ironie d'azur ". Alors nous voici
totalement perdus et heureux de l'être. Parce que s'est éteint le sens,
vaincu par les signes, et qu'ainsi s'affirme la pure parole poétique. Cette
parole est ici déconstruite, brisée. Mais les mots ne sont pas de
verre, ils sont faits de cette matière noire inconnue de notre monde,
reliques de quelque météorite à la dureté insoutenable. L'obscur a
percuté la terre, demeurent ces éclats plus résistants que
l'obsidienne, hors de nous hors du temps, hors d'eux-mêmes dans leur
lumière aveuglante de noir, dispersant nos pauvres phrases convenues :
" Et celle même confondue / pour rien pariée soleil citron / couleur du
jour où l'on n'est plus ". Un Big Bang poétique qui nous laisse
haletants, derniers survivants des certitudes, à qui se dévoilera
peut-être (pour peu que nous consentions à la totale humilité) "
l'absolu secret de la terre / qui sous le disque / oublié renié refusé
/ du ciel / ne peut être / que ce qu'elle est ". * Jean-Claude A. COIFFARD (7 à dire n° 46) En lisant DE L'AUTRE CÔTÉ CE MIROIR de Martine MORILLON-CARREAU & Chantal ATELIN Sac à mots édition, 2011, 36 p. , 35 €
LUMIÈRE DE MARBRE Des paroles de marbre des cris des chants et des mots qui s'enlacent inlassablement qui s'enlacent et marchent vers la mer
des murmures de marbre sur des lèvres de chair des silences des envols des larmes de lumière dans un bruit de soleil
un bruit qui vous entoure vous submerge un galop comme ça galop de tourterelles sur une plage offerte
et des mains
des mains qui se perdent dans la rondeur d'un corps
* Marie-Hélène VERDIER, 7 à dire n° 47 DE L'AUTRE CÔTE CE MIROIR de Martine MORILLON-CARREAU et Chantal ATELIN
De l'autre côte ce miroir : tel est le titre du nouveau recueil de MMC
ou plutôt du dialogue entre le poète et le sculpteur Chantal Atelin. Le
poète nous avait déjà fait partager un travail commun avec cette
artiste puisque, dans le Jardin du Porte plume, les poèmes de MMC
étaient " accompagnés " par huit œuvres de Chantal Atelin. Mais, dans
ce livre le dialogue acquiert une rigueur et une poésie remarquables
Le livre comporte dix sculptures, (ou dix tableaux) et dix poèmes, en
regard, en miroir, en dialogue austère avec le silence et le blanc de
la page. D'échos en reflets, le lecteur est convié à lire
ensemble, en un "éclair jumeau " les deux œuvres qui tirent
mutuellement sens l'une de l'autre, s'éclairent, se reflètent, se
renvoient l'une l'autre et s'ouvrent en miroir ... à autre chose sans
que soient esquivés l'angoisse et le risque du vide ni le " le
grelot du rien ". Disons-le tout de suite : les
œuvres de C.A. sont admirables, qu'elles évoquent des " larmes bleues
d'ardoise ", une " quatrième de couverture " faite d'une volute de
marbre creusée " dans l'ironie lisse de la lumière ", ou bien une
aérolithe improbable, miraculeuse, ou encore " des tranches
bleues de terre ", comme dans un tableau de Miro ou un poème d'Eluard,
ou bien encore un labyrinthe de mots dans son cocon de coton, une
ville, encore, avec clochers, quais ; reflets. " Magique ! " : je
n'ai fait que reprendre les mots mêmes de M.M.C !... Et puis il y
a, bien sûr, les trois dernières œuvres particulièrement
heureuses : deux bois dessinent une fenêtre : l'une drapée de craie et
l' autre de pourpre, " poids de chair, de soie, de sang ". Quant
à la " Structure n°10 ", qu'on pourrait appeler " Le
Guetteur rouge ", elle mêle le bleu au rouge et au noir -
mystérieux rouge à lèvres (que les auteurs me pardonnent ! ) -
les angles et les courbes dans une dissonance paisible, et
termine ce dialogue de lignes, de couleurs et de mots sur un " cri
souverain " . A première lecture, le texte de
MMC paraît déstructuré, fragmentaire, abscons, avec ses phrases
nominales, heurtées, la place donnée au blanc. Mais on se laisse
vite prendre par l'involution d'une parole qui secrète, de
page en page, " aux marges des mots " , ce quelque chose de
coupant, d'aigu, d'anguleux, et de matriciel aussi où mieux se
lover, telles que l'apparaissent les sculptures de Chantal Atelin
dans leur équilibre parfois improbable ou leur rondeur sereine. Là
encore, c'est " magique " ! La magie opère d'autant plus
qu'on fréquente le livre. Car si on se plaît à retrouver - et c'est
normal - des choses familières comme " une lumière brisée sur la mer ",
" le ciel en transhumance dans un jardin ", " les larmes bleues
d'ardoise ", une mer avec ses " petits poissons blancs " devenus "
labyrinthe de coton dans un tourbillons gris ", " un soleil citron ",
on est aussi tenu en haleine par le vertige hanté du vide,
l'inquiétude, le cri qui habitent les sculptures et les mots. Mais il
est aussi des haltes, telle cette pierre de rêve de C.A. photographiée,
en noir et blanc et qui évoque la pluie - " l'orage ardoise
" dit le poète en toute simplicité - : et, dans le poème,
crépitent, savamment distillées, des couleurs : le vert, le gris,
le bleu ... jusqu'aux " trois grands champs mauves livrés au
désir des abeilles ". Joli miroir que ces couleurs jaillies du noir et
blanc ! Magique, vous dis-je ! On l'aura, je
pense, compris. Il n'y a pas de lyrisme dans ce recueil, pas de
sentiments. Une seule fois le poète dit " tu " mais c'est pour évoquer
le travail des deux artistes afin de faire jaillir quelque chose d'une
" matrice de métal ". Ce livre c'est " Toi ni moi - Miroir ". Il
ne s'agit donc pas de se complaire dans un commentaire, si
poétique soit-il de la peinture de l'une ou du poème de l'autre car
l'un n'existe pas sans l'autre. Il s'agit seulement, " à l'angle
têtu des mots " " juste d'écouter la lumière ... sans savoir ce qui
sera. " Le titre ? Non pas, bien entendu, " de l'autre côté du miroir "
mais " de l'autre côté ce miroir ". Il surprend, à vrai dire car
rien, dans cette œuvre jumelle et autre n'évoque le miroir et ses
mirages, les miroitements. On peut donc l'entendre dans un sens obvie :
sculpture et écriture sont deux langages en miroir l'un de l'autre. Ou,
dans un sens plus ouvert - pour ne pas dire métaphysique - ces deux
œuvres renvoient à un autre côté sinon un au-delà jamais
semblable, toujours à naître. La beauté se crée à partir du rien
mais à partir d'ici avec des matériaux : mots, marbre, métal, pigments,
résine, ... et, en même temps, elle a une résonance " de l'autre côté
" : silence, vide, absolu ? Des formes se créent dans l'espace,
un sens affleure, tremblant, ou s'affirme, mais risqué, et
cela d'échos en reflets que les mots essaient de cerner. Comme
sur un tour de potier ou une quenouille, ils tournent et
travaillent leurs fils tandis que l'œuvre en regard s'inscrit
dans l'espace avec une belle rigueur. A travers un regard, un travail,
une quête communs, ( cf " Enfermement " p.19), un
secret se tisse, est là. Secret : le
mot est dit plusieurs fois. La beauté des formes, de leur signification
est mystérieuse, elle n'exclut pas, on l'a dit, l'angoisse,
l'interrogation sur le sens, l'origine, même si le ciel est ou semble
renié, refusé. Elle s'ouvre, fragile et sûre, tout en étant masquée,
sur la nuit. Beauté dont on ne sait, pour reprendre l'expression
biblique - que les auteurs me pardonnent ! - ni d'où elle vient ni où
elle va. L'important c'est que les deux auteurs, dans une
communion heureuse dans le travail - un moment de grâce, pourrait-on
dire - nous donnent à voir, à accueillir, par une lecture active, à
créer, à " l'angle têtu des mots " et des
lignes, un peu de " l'absolu secret de la terre ". - Sur Poésie l'éclair l'éternité (Sac à mots édition, 2012)
* Jean-Claude COIFFARD : Une moisson de cris (7 à dire n° 50) Écrire
un poème, c'est, peut-être, cueillir des mots au cœur d'un éclair qui,
parfois, zèbre nos nuits. L'éclair c'est l'éternité traversant
l'intensité de l'instant. Cet instant qu'un regard aiguisé porte à son
plus haut point d'incandescence. Poésie l'éclair l'éternité est
le dernier livre de Martine Morillon-Carreau, édité par Sac à mots. Il
nous invite au voyage ; nous presse de partir vers Ailleurs. " Ailleurs
/ Toujours ". Attention, écoutez. Des mots passent. Des chiens hurlent.
Mais qui a lâché les mots comme des chiens dans le grand désert de la
Poésie ? Partir, ah ! Partir plus haut que les mots. Condamné à partir,
à traverser, ainsi que notre vieil univers " la lourde chair noire / de
la nuit " - condamné peut-être ? " Partir aussi repartir demain / la
Terre est petite ". La poésie de Martine Morillon-Carreau est d'abord
une invitation au voyage. Une invitation vers plus de lumière. " Mais
j'ai vu / je suis content / Demain / je m'en vais ". Tu ris, tu
pleures, tu chantes, tu marches, tu roules à vélo " Et tu vas voir la
mer ". Ah ! La mer... L'écume qui danse, qui saute, qui t'éclabousse,
qui crève le silence. " Tu trouveras / quelque chose / éclair ou
luciole / dans la nuit d'ombre / du cœur ". des vers saccadés,
syncopés. Des mots qui se déhanchent. Des mots codés. Une syntaxe
hachée. Des étoiles qui s'envolent. Des astres au bout de la ligne Des
rêves qui naissent. Des poèmes qui brûlent face à " la grande nuit qui
bouge ". Un message écrit dans un langage renouvelé, dans la recherche
d'un nouveau sens, avec des mots érigés en un poème vertical, dressé
dans le livre comme une torche au fond d'une caverne. Une voix qui crie
dans le silence et nous montre, au cœur des ténèbres, une petite lueur
qui avance, comme un " geste tendre ". Un fanal dans la nuit. " Des
appels clairs / d'oiseaux " . Un chant et un vertige. Un ange libellule
qui s'appuie, ailes tremblantes, sur la beauté du jour. C'est toute le
poésie de M.M-C. À lire à haute voix. À prendre " Toutes directions /
Autres directions / Toujours / Sans plus hésiter / Autres / et après /
c'est tout près / tu arrives / tout de suite / au / poème ". Tu arrives
à la lumière. La lumière que tu portes, toi, mon semblable, mon frère,
que tu portes en toi. Lisez Martine Morillon-Carreau, vous ferez,
pour les jours sombres, les nuits sans lune, les heures qui trébuchent
dans l'ornière des larmes, " des moissons / et des moissons / d'étoiles
" - des brassées de rêves. Vous emporterez des poignées d'images tels
de petits moutons sautant dans " les herbes bleues de soleil ". Vous
garderez longtemps, droit au cœur, l'or de ce livre.
* Article de Claude Serreau sur Poésie l'éclair l'éternité, En
écriture, ce qui caractérise une forte personnalité, c'est la faculté
d'évoluer tout en assurant ce qui est déjà construit comme une base
solide, démonstration évidente avec le dernier ouvrage de Martine
Morillon-Carreau, que publient, avec leur habituelle qualité, les
éditions Sac à mots. Et en trois mots, justement, quelle force dans ce
titre, lequel résume bien l'ambition et l'ambitus du poème ; l'auteur,
par son art, se doit d'atteindre à l'ineffable à travers le réel, juste
pour un bref éclairage, qui donne cette impression, au-delà du
vocabulaire, de l'expression et du chromatisme dans les couleurs et les
sons, d'apercevoir ce monde intemporel qu'il est convenu d'appeler
l'éternité. Grâce à la disposition typographique, par la scansion et
le rythme en découlant, Martine Morillon-Carreau, par ses images aussi,
réussit à entraîner son lecteur dans ce monde inhabituel ; et ce n'est
pas un hasard si elle a de nouveau choisi d'y faire collaborer (pour
les exemplaires de tête numérotés) Chantal Atelin, graphiste, peintre
et sculpteur, dont la vision esthétique lui est voisine par ses choix
non exempts d'un abord qui peut sembler tranchant, voire déroutant. Pourtant,
la couleur n'est pas absente de ces poèmes qui, des Antilles, par
l'Espagne, l'Italie ou même la Bretagne, donnent à apercevoir ces
échappées psychologiques dans lesquelles le poète excelle, afin
d'amener son lecteur, dans la chute du texte,à une sorte d'extase,
point culminant de la concentration et de la réflexion sous une intense
lumière. Ce septième recueil porte témoignage de cette lente
maturation où les couleurs et les sons se répondent, selon les critères
symbolistes, pour aboutir à une œuvre en quelque sorte en trois
dimensions que la disposition spatiale suggère, comme ce " Carrefour "
nous y invite. Le sommet est bien le dernier texte, une totale
réussite, consacré au " tambour ", ce " Oh tambour / tambour nouveau du
monde /... / pour des moissons et des moissons d'étoiles ".
L'instrument, à la fois générateur de sons et résonateur, son aspect
circulaire, son appétit d'espace, traduit ainsi l'univers fermé, mais
plein, dans lequel l'humanité évolue, réceptrice et prisonnière de ces
bruits et vibrations qui construisent son monde, cette " insurrection
de la lumière " " jusqu'à sa dispersion / sa fuite / vers le silence /
repoussé ". L'eau-forte des exemplaires de tête due à Chantal
Atelin, qui répond la citation de W.Blake mise en exergue " Voir un
monde dans un grain de sable / Et l'éternité dans une heure " résume à
elle seule la tentative que Martine Morillon-Carreau va mener à bien :
il faudrait pouvoir donner à voir ici l'effet induit par la disposition
des vers éclatés qui, dès le premier texte, déstabilise afin de
suggérer cette impression d'être une particule, un atome ballotté au
gré d'une énergie qui nous anime et nous emporte vers un silence
sidéral ! Non, non, pas de Stars War en perspective, mais une poésie où
mélancolie et nostalgie sont décantées, et à laquelle on ne peut ni ne
veut se soustraire, comme dans le deuxième poème " Échappe / Échappé...
", cette déchirure " Saigneur / la Vie... " (admirez l'humour noir dans
l'homophonie), le décalage dans l'impression introduisant le doute,
l'instabilité, la perpétuelle transition, l'instant / violent " quand
" ne s'accomplit pas / accomplit l'éclair / l'éternité ". Ne pas
croire que lyrisme et référence à l'actualité sont ignorés de ces
textes d'apparence très libre, mais qui, et c'est là tout l'art et le
métier, savent exprimer le souvenir, le voyage ou le Voyageur que nous
sommes, toujours au carrefour de routes qui nous entraînent on ne sait
où, quand Martine Morillon-Carreau, elle, sait arriver au poème, car "
De commencement / en commencement " il nous faut tendre vers le "
sourire innombrable / de la lumière " si l'on veut tenter de vivre... Bref,
il y a dans ce livre étonnement, au sens fort du mot, et satisfaction
pour cette plénitude d'atmosphère à la fois évocatrice et
interrogatrice, imposant l'envie de s'y replonger, preuve que ce poète
n'écrit pas seulement pour disperser des signes sur une page blanche,
aussi séduisants que soient l'aspect et la forme du poème, mais sans
doute pour montrer au lecteur un autre chemin : à lui de prendre la
route, son esprit en sera récompensé !
* Extraits d'une lettre de Bernadette THROO(30 avril 2012) J'ai bien reçu le recueil de Madame Martine Morillon-Carreau et l'ai aussitôt dévoré. C'était un pur bonheur [...] De magnifiques images : " brouillard froissé d'étoiles ", " la lourde chair noire / de la nuit " [...] Voilà
une poésie terriblement actuelle et par l'inspiration et par la
forme. Elle est bien de notre temps, c'est pourquoi elle est grave,
voire tragique, reflet d'un monde intolérable [...] A mesure qu'on
approche de la fin du recueil, on voit la vie l'emporter (dans l'image
eschyléenne du " sourire innombrable / de la lumière " ou p 80 " dans
l'éclat de la mer à midi " [...] Et dans les dernières pages s'affirme le triomphe de l'amour, de la lumière, des étoiles. Finalement, le recueil de Martine M-C est tonique, qu'elle en soit remerciée !
* Article de Jean-Louis BERNARD sur Poésie l'éclair l'éternité Les
trois premiers mots de ce livre (" Ailleurs / Toujours Mais ") sont à
rapprocher du titre d'un recueil précédent (Mais c'est ailleurs
toujours). Pas un hasard bien sûr : Martine Morillon-Carreau ne se
remet pas entre les mains du hasard. Pour le destin, c'est autre chose.
Tout au moins celui de l'humanité, à qui son dernier poème donne pour
meneurs les descendants des esclaves d'antan, juste retour des choses.
Senghor et Césaire vont aimer, c'est sûr, depuis le temps qu'ils se
battent, même depuis leur mort : " Oh tambour / tambour nouveau du
monde / tambour / j'entends / j'entends vibrer ton rythme / nègre
/ jusqu'aux bords noirs du temps ". " Ça danse et brûle " dans ces
pages. Entre ces pages. Partout les feux de brousse. De nos brousses :
" Resserrer sur tes yeux / ce bandeau de suie / qui te fait croire à
l'ombre ". Les bouches martèlent les intolérances passées, les
insultes faites aux villes, aux pays, aux peuples (" Terre plus grasse
/ de leur sang / Pas même oublié / Non / Ni reconnu ni vu / Sans nom
"). Et justement, Martine Morillon-Carreau nomme. Pour que ces bouches
existent. En un chant de vertige, douleur et douceur entrelacées. L'eau
et les pierres, le soleil et le sang, les exodes et les exils. Elle
nous parle de " l'enseignement des ruines " , car elle sait que toute
parole conserve le souvenir d'une langue morte. Et nous, portefaix de
nos arrogances et bonnes consciences mêlées, il ne nous reste qu'à
écouter, car si nous ne sommes pas coupables, nous sommes, en tant
qu'héritiers, responsables, et n'en finirons jamais avec nos ombres. Au-delà
du temps, la chamane continue à psalmodier paroles de feu et silences
de terre. Au bout de sa transe, peut-être trouvera-t-elle " l'ouvert
éclatant / de ce qui sera ". Alors le halètement devient longue houle
persienne : " Et plus lentes / de ces cœurs éphémères / esquissés
// Et luisantes / Elles // suivant simplement / la douceur des vents de
terre ". Et Martine Morillon-Carreau approche ainsi la parole
inaugurale, la parole avant les mots. Il faut trouver l'apaisement,
nous disent les griots en leur sagesse. Pas avant cependant d'avoir vu
" au bout du couchant ... la mort peut-être ", d'avoir fait une fois
encore jaillir les contraires entre Feu et Logos héraclitéens (" La
route / qui monte / serait / disait-il / celle / qui descend " ;
" Avec seulement / du Noir / la lumière " ; " Autre et la même / la
rivière veille "). Pas avant d'avoir été serviteur du vide (le vrai,
celui qui nous aide à supporter l'exil). Pas avant de nous avoir
enseigné que l'éternité n'est à tout prendre que la face inversée de
l'éclair.
*Lettre de Roland HALBERT, 25 mai 2012 Chère Martine, Ton livre est admirable dans son édition comme dans son contenu. Evidemment,
tu mets la barre très haute en inscrivant W. Blake en guise d'
épigraphe et il faut reconnaître que tu relèves fort bien le défi. Tout
est d'un haut niveau : l'eau-forte de Chantal Atelin aussi bien que tes
"mots musiques" qui, à travers une langue volontiers foreuse (cette
insistance à creuser à double ou triple tour : " Charniers/
Charognes" "lacérant/ déchirant/ arrachant "),se fait chant jusqu'à l'incantation. En témoignent tes plus belles pages, à mon goût : par exemple, p. 32, 40 ou 74/75. La
mythologie ancienne y revisitée (Prométhée) et nos grands devanciers
aussi ("la douleur" de Baudelaire et "l'Azur" de Mallarmé). Je suppose
que tu as lu - et bien lu - les Cantos de Poundet aussi Paul Celan,
surtout le Celan de la fin, dont je crois trouver, ici ou là, les échos
les plus fertiles : celui de La Rose de personne ("vers du rien",
écris-tu, ou encore "l'enseignement des ruines") qui fleurit pour la
meilleure poésie en des "moissons d'étoiles"
*Jean-Paul GIRAUX Poésie sur Seine n° 80
Martine MORILLON-CARREAU, Poésie l'éclair d'éternité Sac à mots éditions15€
Quel chemin suivre, à travers les images juxtaposées, pour arriver jusqu'au
poème ? Il ne suffit pas d'écouter les " eaux bavardes des fontaines ",
d'accrocher le regard à la lumière volage, de laisser les mots se bousculer
en rythmant les vibrations du temps, d'obéir à " leurs chatoiements / d'arc-en-ciel
". Il ne suffit pas de traquer le silence jusqu'au vide où une éternité
s'inscrit, un vide dont le poète donne une représentation sensible à travers
l'éclatement du poème sur la page. Martine Morillon-Carreau sait parfaitement
cela et, au plus loin de ses souvenirs, là où l'enfance resurgit avec ses
odeurs de craie, d'encre et de " préaux hurleurs ", il lui revient que le
monde ne cesse de se déchirer affreusement, d'allumer des incendies, de
programmer des massacres. Martine Morillon-Carreau est un poète à l'écoute
des mots, mais qui a aussi choisi d'entendre le " hurlement sans fin de
l'Histoire ", d'en recueillir l'écho, et d'en faire jaillir " l'éclair scandaleux
/ du poème ".
- Sur Pierres d'attente (Éditions du Petit Pavé 2013)
* Jean HOURLIER : Martine Morillon-Carreau, dans cette méditation, témoigne d'une sensibilité
très moderne en même temps à la finitude de l'espèce humaine, précédée et
suivie par le règne de la pierre, et à la continuité de l'être, qui inclut tous
les règnes, de l'animal au minéral. L'art poétique, tout d'harmonie et de
maîtrise : " accorder / son souffle / à cette respiration // son
attente / aux évocations des pierres ", s'appuie sur une éthique du
regard : " Le paysage attend dans la pierre / le regard / qui doit
l'inventer ". Martine Morillon-Carreau propose une poésie sculptée
mais économe de ses effets, de l'absence totale de relâchement.
* Lettre d'Arlette CHAUMORCEL (juin 2013)
Un bon livre, chère Martine, ce PIERRES D’ATTENTE […]
Le feu. Le temps. La force. J’y ai tout aimé de ton regard et la
musique de ta voix « pour rassurer / peut-être / nos pas / sans
permanence »… Ta voix qui remonte les sources pour retrouver « les
forêts jetées bas / dans la fournaise »… Du beau travail. De l’Artiste
(qui a côtoyé les sculpteurs) à l’enfant, galet en poche, un monde ;
celui du Poème : un monde où tu excelles et d’où je sors enchantée.
* Jean-Louis BERNARD :
En exergue de ce livre, le grand Héraclite : « La foudre gouverne
toutes choses ». Et Martine Morillon-Carreau nous donne dès lors la clé
: les pierres sont filles du grand éclair qui fit exploser le monde,
cet éclair qu’elle emporte à demeure dans sa besace de nomade (son
dernier titre : Poésie l’éclair l’éternité).
Liées aux arbres qui se transforment lentement en elles (forêts
pétrifiées des Antilles, lieu emblématique pour l’auteur : ne pas
oublier que dans certaines civilisations, le bois est un élément à
l’égard des quatre nôtres) dans la sidération du temps (« les troncs
couchés / cependant / seront un à un démasqués / de pure pierre »), les
pierres imprègnent notre mémoire (mémoire : feuilleté d’innombrables
couches de temps entrelacées). Et le temps ne les trompe pas, elles qui
nous font l’offrande des siècles : « Leur violence / première / bien avant nous ». En
fait, parallèlement aux pierres, Martine Morillon-Carreau nous parle du
temps. Du temps poétique, qui n’est pas le temps chronologique. C’est
un temps fixe, immobile mais palpitant. Un temps à substance invisible
et cependant (ou en conséquence) immensément prégnante. Rien de mieux
que ces quelques vers pour nous en persuader : « S’il lui est bien facile / d’entrer au paysage […] / il y marche pourtant / sans avancer davantage ». Ce
temps poétique se mêle ainsi inextricablement au lieu pour devenir
attente pure, sans objet, « attente qui n’attend rien » (M Blanchot),
sur un chemin inexistant (« Marcheur, il n’y a pas de chemin ». A.
Machado). Une attente qui nous permet d’ « accueillir simplement / le
signe / pétrifié ». Car le signe est bien le substrat essentiel
de tout acte poétique, témoin transmis par le seul poète (le sens, dont
certains font l’alpha et l’oméga, appartient entièrement au lecteur). Oui,
les pierres sont partout. Génitrices du feu et des cathédrales, mêlées
à la terre au passage de la charrue, dans les poches de V. Woolf pour
l’aider en sa grande traversée, lissées comme galets, usées comme
tympans, réduites parfois en sable (ce sable qui deviendra miroir…),
déformées par le rituel du temps qui passe. Elles regardent, crient :
leur vie est un processus continu et infini de métamorphoses. Ces
pierres, Martine Morillon-Carreau les utilise pour forer l’énigme des
origines, au risque de se blesser. Résultat : ce livre des rebours, qui
passe d’une temporalité consciente à un temps où tout se mêle, qui
laisse vivre les questions qui rôdent. Et qui (c’est le propre de tout
grand texte) fait dire aux mots ce qui le les dépasse. * Jean-Claude Albert COIFFARD " Les visages du silence" (juillet 2013) :
Les pierres et, plus particulièrement, les galets, à la fois
rongés et polis par l’intense mouvement poétique de la mer et par les
cris du vent, savent parler à l’oreille de Martine MORILLON-CARREAU,
qui nous transmet la trame de leur message et nous parle d’eux, avec
ferveur. Le poète nous traduit, dans un langage qui lui est propre et
qu’elle maîtrise à la perfection, les énigmatiques brûlures burinées
par le temps et sculptées dans l’informe et nous donne ainsi à voir les
visages du silence. Martine MORILLON-CARREAU nous
fait assister à l’étrange et millénaire combat du minéral et du végétal
et, finalement, à son accomplissement dans la marche d’une forêt
mégalithique, vers un ailleurs c’est-à-dire un Temps d’avant la mémoire
- vers une fournaise d’avant la Fournaise, vers un paysage, une parole
figée dans la pierre, tatouée sur la peau de la pierre et qui attend,
patiemment, le passage d’un poète, le passage de celui qui saura tirer
d’un rêve minéral la plus poétique des réalités. Ce poète nous conduira
alors à travers les chemins, les rues et les voies d’une ville depuis bien avant les villes – vers le secret du soir.
L’auteur de PIERRES D’ATTENTE nous fait deviner, de l’autre côté de la
mémoire, tel un songe lové au creux de la nuit - Avant ce qui fut/Après ce qui sera –, un cri minéral déchirant comme un barbelé de malheur qu’il n’aurait pas/auparavant/soupçonné.
Le poète célèbre, tout au long de son recueil, des pierres d’Enigmes et
l’énigme des Pierres plantées dans la terre du souvenir, avec,
bouillonnante sur les lèvres, la mousse d’un cri. Il célèbre des
pierres aux masques ricanant, devant l’implacable érosion du temps –
des pierres aux paroles parfois pétrifiées sous les rameaux des
immortelles des dunes. Martine MORILLON-CARREAU sait éminemment faire
vivre le drame minéral et nous donner à voir la couleur de ses rêves et
le tragique de ses cris burinés sur les parois du silence.
J’ajouterais que les poèmes sont accompagnés de photographies de galets
– visages sortis de la nuit des temps – modelés par les mille doigts
associés des vagues et du vent, visages aux yeux de songes et aux
bouches sans langue et sans dents, figés dans la stupeur de l’éternité
qui passe ; visages auxquels, à l’évidence, il ne manque, semble-t-il,
que la parole. Eh bien, Martine MORILLON-CARREAU la leur donne et sa
poésie nous la fait entendre. * Lettre de Roland HALBERT (août 2013) : Pierres d'attente, chère Martine, est un ouvrage très réussi. A mon goût, un de tes meilleurs livres. L'édition en est remarquable : cette couverture parlante, ces étranges paesine si suggestives ! Tout au long du livre, un lyrisme dense affleure où la pierre et la langue roulent leurs syllabes de "l'étincelle" du début (en haïku ) jusqu'au galet "tête de cri" (en haïku ) de la fin. "Pierres
qui m'imposez ainsi,jusque pour la manière d'écrire,une référence
étrangère, laconique, intraitable",notait très justement Caillois. Nous
te devrons,à l'école aiguë d' Héraclite et de Caillois,une perception
plus aiguisée du monde minéraloù se défait avec bonheur "l'illusion des
pierres". Pas de doute : le lecteur a envie de mettre ce recueil au fond de sa pocheet de l'ouvrir souvent ("pierre à pierre", écris-tu) pour mieux accueillir cette "promesse du songe"qu'est la lecture vivante. Félicitations ! Bien à toi, Roland
* Jean-Paul GIRAUX, in Poésie sur Seine n° 84 :
Il y a une Écriture des pierres
(cf. le livre de Roger Caillois). Martine Morillon-Carreau en fait à
son tour la démonstration sensible avec cet excellent recueil intitulé Pierres d’attente
comme si tout paysage minéral, fût-il aux dimensions d’un caillou,
attendait la révélation du regard pour se réaliser. Ici, la mémoire
elle-même est pétrifiée. La vie s’arrête et recommence dans le rêve,
affirme sa permanence, inscrit sa liberté dans un « sang de silice ». Car le poète sait que le « paysage [qui] attend dans la pierre / le regard / qui doit l’inventer » , surgit « du poli de la pierre
», avec ses falaises hautes, ses enceintes crénelées et ses tours
énigmatiques. Même les ruines dessinent la ferveur des pierres à
travers leurs « effritements de sable ».
La récompense a alors la forme d’un galet dont la bouche rit ou crie,
ou bien encore adresse aux passants son interrogation muette et
pathétique, cache son âme blessée au fond de ses orbites sombres
- Sur POÉCLATS (Èditinter 2015)
* Extrait d’un courriel (27/11/2014) de Marcel Benabou, président de l’OULIPO :
…Ce que j'ai le plus admiré, c'est l'aisance
avec laquelle vous avez su mettre la contrainte au service de votre
projet poétique, et la réussite à laquelle vous êtes parvenue. C'est
une alchimie à laquelle on ne parvient pas toujours !
Si vous m'y autorisez, je présenterai votre travail à mes amis oulipiens lors d'une prochaine
réunion.
Très cordialement à vous,
Marcel Bénabou
***
* Sur les 13 extraits de POÉCLATS parus en Hors Champ de Friches 115 :
Lettre de Jean-Claude COIFFARD suivie de son article dans 7 à dire :
LES MOTS PRÊCHEURS
Saint-Florent-le-Vieil. D’abord
Saint-Florent-le-Vieil, dans les Mauges. Des rues étroites, avec, sur
les pierres de leurs longs et hauts murs cachant encore des secrets de
province, une ombre discrète et légère, toujours présente, tel un tag
littéraire que le temps ne pourrait effacer. L’ombre de Louis POIRIER,
ce nom qui était peut-être le pseudonyme de Julien Gracq, et non le contraire comme on croit,
nous le suggère malicieusement son ancien élève du lycée Claude
Bernard, Renaud MATIGNON. L’ombre de Louis POIRIER donc hante la petite
cité des bords de la Loire, où la vie – peut-être influencée par la
présence du fleuve – s’écoule plus lentement qu’ailleurs et parfois
même semble trébucher hors du temps.
J’aime imaginer cette ombre accompagnant mon amie Martine MORILLON-CARREAU, lors
d’une promenade près de la Loire – la nuit, les étoiles dans le lit du
fleuve et une pèlerine de mots s’abattant sur les épaules du poète. De
ces instants privilégiés, et après de longs mois de travail, naîtra une
suite de poèmes engendrés grâce à des éléments minuscules prélevés dans l’ensemble [des] romans et nouvelles de l’enchanteur de Saint-Florent, ainsi que dans l’une de ses pièces, Le Roi pêcheur. De cette contrainte sortira une certaine liberté – une liberté plus grande. Dans cet espace conquis, dans ce beau pays, créé dans les ruines des souvenirs, s’élèvera une certaine lumière, un grand souffle venu de la mer, une espèce de point suprême ! Un charme ou, sans doute, le passage de l’ange/vers un lointain/dont je ne savais rien.
C’est vers ce lointain que l’on sait inaccessible, vers cet Ailleurs –
cette autre vie – cette terre couleur de ciel où coule l’eau brûlante
de l’enfance que nous entraîne la poésie de Martine MORILLON-CARREAU –
une poésie faite d’éclats de mots piqués à même la chair
du livre.
Sur les douces rives de la Loire – sur ces doux rêves – ce ne sont pas
des châteaux de sable que le poète bâtit mot après mot, mais un château
d’amour. Attention, il ne faudrait pas se tromper si notre poète trempe
sa plume dans le même encrier que celui de Julien GRACQ, ce n’est pas
avec la même encre qu’il formera ses mots. Martine MORILLON-CARREAU me
le confiera, son écriture sera à la fois un hommage et un exorcisme.
L’hommage à un homme dont l’oeuvre semble moins s’inscrire dans le temps que dans l’espace1 et l’exorcisme afin d’interrompre l’envoûtement qu’inflige la prose poétique d’un écrivain qui se tient sur la même ligne de feu rouge et de sombre velours qui unit le romantisme au surréalisme.²
C’est donc bien une poésie personnelle qu’il nous sera donné à lire et
non un défilé d’images reflétées par un jeu de miroirs. Des poéclats
saisis dans un crépuscule de branches, à l’ombre d’un coeur démesuré – une voix, l’écho d’une voix, au coeur de la pièce obscure. Au-delà de chaque vers, et souvent dans la marge, l’auteur nous donne à déchiffrer les pages difficiles de la vie. En filigrane, ami lecteur croyez-moi, un labyrinthe enchanté nous attend – un royaume au bord de la mer.
La mer et ses murmures… Un léger froissement de
roseaux dans le vent… Sur le sable, la marche veloutée des heures…
Écoutez bien la musique d’un rêve. Ses notes fragiles dessinent dans
l’air un chemin d’eau et la barque qui vous attend. Elle va partir, la
barque, ne la manquez pas. Le jour baisse, l’ombre d’une ruine se
devine à l’horizon, le paysage prend la couleur d’un songe. Est-ce déjà
la terre promise ? C’est la nuit, les arbres s’habillent de ferveur.
Écoutez, déjà les coqs chantent quelque part. Tout va bientôt changer.
On dirait que le temps n’existe plus. Tout est changé. Nous sommes dans
un jardin à l’intérieur des mots, sur une terre où sommeille l’enfance,
le ciel ouvert sur l’eau du fleuve verse le lait de ses mille lunes.
Avril 2015
Jean-Claude Albert COIFFARD
(revue 7 à dire 68)
* Martine MORILLON-CARREAU, POÉCLATS (Caprice avec des ruines), éditinter poésie,
2015, 80 p.
Références bibliographiques
1 Bruno de Cessole, Le défilé des réfractaires. L’Éditeur, 2011
² Kléber Haedens, Une histoire de la littérature française. Les cahiers rouges, Grasset, 1989
* Article de Michèle DUCLOS :
Martine Morillon-Carreau, Poéclats (Caprice avec des ruines), Éditinter, 2015.
Le lecteur ignorant les intentions de Martine Morillon-Carreau
exposées en postface, sera tenté, passées les épigraphes empruntées à
Julien Gracq, de s'attacher à ce que la poète décrit comme « une
véritable narration sous-jacente, courant d'un bout à l'autre du livre,
avec état initial, péripéties, coups de théâtre, état final... » :
récit discret, en demi-teinte semble-t-il, d'une affection déçue plus
que trompée, récit lentement mûri d'un renoncement, en dialogue à une
seule voix, dans un décor entre vespéral et nocturne accordé à la dure
tristesse du sentiment. Même «la parole est sans ressource ». Paysage
de bord d'océan sur la dune, voilé puis présent, presque obsédant, que
l'être absent, parti ou congédié, et que la narratrice qui s'y promène.
Puis au milieu du livre, la situation se retourne sans éclat ni
rupture: autour d'une nouvelle rencontre ou d'un retour et d'un nouvel
espoir. Comme « autant de petits miroirs sur l'étincellement de la mer
». La vie semble repartie. Au fil du récit l'atmosphère projette
dans l'esprit du lecteur, sur son imagination des images visuelles ou
sonores : tel, dans le retournement en son mitan vers plus de lumière,
le Concerto à la Mémoire d'un Ange, d'Alban Berg.
Mais le récit, ce mini épisode discret de la vie et l'amour d'une femme
(on évoque alors Schubert ou Schumann mais ici la femme tourmentée sort
victorieuse de son périple sentimental) ne répond qu'en partie aux
intentions de l'auteur. À la fin de la lecture, la poète nous livre le
secret oulipien d'une composition réalisée à partir d' « éclats »
minuscules de texte, emprunté à plusieurs livres de Gracq, une tâche
qui a porté sur des mois voire davantage d'un travail « jamais
considéré comme un jeu », « réinsufflant au palimpseste gracquien une
vie autre» «en tension constante avec cette autre exigence d'une
complète appropriation stylistique de ces ruines ». Ce long poème
constitue effectivement, comme le souligne la poète, une réconciliation
avec « son apparent ennemi intime, l'inspiration romantique et lyrique ».
Et puisque la poète se réfère discrètement à cette quête de «point
suprême» recherché par les surréalistes - « Je pense Comme la mer est
belle/ un miroir magique un écho / une espèce de point suprême » - on
peut se demander si cette rencontre entre un moi lucide et un dehors
ici littéraire ne répond pas mieux au «fonctionnement réel de la pensée
» du Premier Manifeste que la remontée d'un magma individuel présumé
inconscient qui se manifeste à travers une syntaxe répétitive
impeccable. Rencontre d'une psyché lucide et d'un hasard contrôlé comme
dans la pratique du Yi King. Fascinant.
Michèle DUCLOS
***
* Monique W. LABIDOIRE (revue Diérèse n° 65)
Poéclats ( Caprice avec des ruines) de Martine Morillon-Carreau - Éditinter- 15 euros-
Il y a des silences habités par une parole de mémoire et d’entrée de
jeu, dans ce nouveau recueil, Martine Morillon-Carreau nous sollicite
dans ce que nous avons de plus sensible et qui construira notre
mémoire, — nos souvenirs —. Et ce, dans une urgence mesurée, car nous
avons « si peu de temps pour savoir » ce que cette construction veut dire de notre vie, de
l’obscur, de la lumière, du monde et de la poésie.
Cette patrie poétique, MMC la puise dans son imaginaire, dans son approche intelligente des poètes, dans ses lectures et « en lisant et en écrivant »
son poème, elle creuse ses propres sillons dans ceux de celui qu’elle
ne cesse d’appeler et qui a été à la fois une présence physique proche
puisqu’habitant entre Angers et Nantes, — Nantes la ville retrouvée de
la poète — et une absence d’un monde poétique plus palpable. Ici, le
poème tente de conquérir des territoires aimés et fréquente « les grèves désertes » avec « les larmes au bord des yeux ». L’ombre de Julien Gracq veille.
Appel à l’autre, cet autre qui saurait encore écouter et entendre cette
douleur de l’absence de tous ceux qu’on espère, de ceux qui reçoivent
la poésie en éclats brisés et dispersés et qui ne savent pas encore
toute l’espérance qu’il y a dans l’appel de la poète.
Une attente
Porte secrète
D’évidence
Et de ténèbres.
Comme son célèbre aîné, MMC essaie d’atteindre un rivage qui borde
un territoire inconnu, peuplé d’oiseaux, de plages, d'océan, de vent,
de mots, d’hommes et de femmes qui ne peuvent pas ne pas attendre une
vérité. Un rivage peuplé d'incompréhension qu'il faudrait amener tout
simplement au poème. On retrouve dans le recueil de MMC ce même désir
de mouvement de l’écriture et de rythme essentiel à Julien Gracq, cette
« Liberté grande » qui dans un dernier appel fait dire à la poète :
Non je ne désire plus être ailleurs
Écoute-moi, il faut que tu sois là.
Si comme le dit MMC, il y a contrainte pour faire resurgir
l'inspiration, nous sommes aussi en présence d'un jeu enchanteur d’une
piste ouverte mais secrète et énigmatique qui nous permet de découvrir
à l’envi ce mé/tissage entre les deux poètes. Mais on peut choisir de
rester dans le présent du poème de MMC pour nous réjouir de mots, de
musiques, de la volonté de rompre avec l’écriture solitaire et de
partager la certitude qu’en lisant et en écrivant, les portes s’ouvrent
et l’horizon déploie sa lumière.
* Jean-Paul Giraux (Poésie sur Seine n° 89)
Martine MORILLON CARREAU, Poéclats (Caprice avec des ruines) éditinter, poésie .
Le recueil de Martine Morillon-Carreau s'ouvre sur deux citations de Julien Gracq : "Toute oeuvre est un palimpseste" et "Les orchidées sont des épiphytes".
L'une corrige l'autre, car chacun sait que dans le palimpseste, à
proprement parler, le texte visible n'est pas le produit du texte
effacé, même s'il le recouvre imparfaitement et semble vivre de son
mystère.
Précisément, dans ces poéclats – et autant
d'hommages à l'oeuvre d'un auteur considérable – la contrainte aboutit
à un ouvrage original qui n'a pas besoin d'élucider ses origines pour
exister et qui se présente comme une longue confidence où l'auteur[e]
dialogue avec les ombres. On la suit dans un paysage de mer et de sable
avec un arrière plan de forêt dans lequel s'enfoncent des chemins
silencieux qui ne mènent nulle part. Le ciel y est tantôt vide, tantôt
brûlant, le coeur, noir ou glacé, et partout s'éprouve le poids du
destin sur la ligne des vies. L'autre y est attendu pour réenchanter le
monde.
* Marie-Hélène VERDIER, revue Friches, 120 :
POÉCLATS, « Un pays plus libre et plus sauvage. »... de Martine Morillon-Carreau,
(Édinter, 2015).
Jour printanier place Saint-Sulpice, au Marché de la Poésie. Martine
M-C. parle avec des amis. Assise sur un banc, j’ai ouvert le recueil
qu’elle vient de publier : POÉCLATS. Un bonheur m’envahit à
lire cette histoire d’amour, tendre et violente, avec ses gloires et
son tragique, ses flamboiements et sa solitude dans le grand vent de la
mer et des ciels. Éclats de visitation et de chaos.
Une histoire d’amour et de secret. Ruines ? Naissance ? Qui est cet aimé mystérieux, réel et rêvé, l’autre ou le même « qui rend le monde à sa nouveauté » ? Ou qui « refuse les rêves » et ne peut ou n’a pu comprendre ? Parfois un couperet tombe : « Il n’y a rien de possible entre lui et moi. » Mais après l’irréparable, un appel retentit à dépasser le naufrage et à avancer : « Viens ! »
C’est dans un pays « plus libre et plus sauvage
» que nous entrons. C’est aussi dans une île enchantée. Le recueil
offre un mélange étrange de douleur, de déchirement et de douceur, de
communion et de solitude. C’est, à travers le bonheur et la douleur, la
quête de quelque chose à venir ou advenir : « La poussée d’une vie fraîche sans résistance.
» De là ce beau mouvement continu entre le passé et le futur, entre ce
qui semble irrémédiablement détruit et ce qui éclôt. Certains poèmes
douloureux se terminent sur des vers très beaux dans leur simplicité :
« Il viendra / Oui je revivrai ». Mais aussi quelle
violence dans ce recueil ! Les poèmes disent l’impossibilité ou la
difficulté du pardon, la haine parfois, l’incommunicabilité, la
solitude surtout, la finitude… en rendant à la poésie son bien : des
éclats d’amour et les éclats de l’amour. Car, oui, j’ai d’abord lu ce
recueil « comme un rendez-vous d’amour/ Au-delà d’un abîme » réel et onirique.
Le poète explique, dans un après-dire, la source qui a donné naissance à ces poéclats,
un soir qu’attablés avec des amis à Saint- Florent-le-Vieil, son amie
sculptrice lui avait fait remarquer qu’elle était assise à la place de
Julien Gracq... Pendant un an, les oeuvres de Gracq hantèrent l’esprit
et le coeur du poète et lui fournirent l’alphabet de ce grimoire qu’est
Poéclats. C’est ainsi que des « ruines de citations », des
éclats de Gracq, les prélèvements de sa prose, s’amalgamèrent-ils à
l’imaginaire du poète. Mais cette écriture sous contrainte – qui
contraint aussi le lecteur à une riche recherche ! – loin de brider
l’inspiration, lui a insufflé le bel élan d’une oeuvre personnelle
pleine de charme.
Quel bonheur de retrouver ici tout l’univers du poète, le grand air marin, les dunes, les genêts, « ces bandes d’oiseaux de mer qui flottent libres et dansants dans la lumière crue mouchetée de bleu », la pluie sur la mer, la route de l’enfance, et ce jardin « qui se replie dans le secret
», le sentier qui y mène ! … Je retrouve aussi dans des poèmes à forme
brève, ces chutes ou ces ruptures de registre que j’aime tant. Comme
toujours chez le poète mais plus encore ici où « l’histoire » dramatise
le sens du recueil, POÉCLATS unit avec bonheur des images de clôture et d’ouverture qui lui donnent sa beauté libre.
Texte palimpseste, ce beau recueil offre un double bonheur que l’on
espère un : pour l’amoureux de Gracq (mais qui ne l’est pas ? ), celui
de retrouver des mots gracquiens ; celui, pour le lecteur, de lire dans
cette histoire d’amour éclatée, sa propre histoire, énigmatique et
brisée, rendue à la poésie avec ses caprices d’ombre et de lumière.
***
* Claude SERREAU :
POÉCLATS ( Caprice avec des ruines), Martine Morillon-Carreau – Éditinter 2015 –
Poète à la personnalité affirmée, Martine Morillon-Carreau, publie
chez Éditinter son neuvième ouvrage et, ce faisant, se lance un défi :
transformer la contrainte en véritable moteur de l’inspiration ; d’où
le le titre Poéclats puisque les poèmes vont naître des bris
de l’oeuvre d’un auteur admiré, Julien Gracq, dans laquelle elle va
puiser les mots de chacun de ses textes, travail que justifie le
sous-titre Caprice avec des ruines. Et ce n’est pas
entreprise légère qu’elle vamener à bien, alternant poèmes développés
et haïkus qui vont répondre aux deux citations liminaires du promeneur
des bords de Loire et à deux anagrammes dont le lecteur n’aura
l’explication que dans un après-dire : « ultime aveu : poèmes du au seul L.Poirier alias J.Gracq ».
Bel hommage en vérité où vont se retrouver des thèmes chers au retraité
de Saint-Florent-le-Vieil que Martine Morillon-Carreau revisite en
imagination, et qui s’imposeront à elle après qu’elle se sera assise
avec une amie à la table qu’il occupait dans son restaurant favori.
Car ce n’est pas mince affaire que de relever des indices, suggestifs mais réticents, « entre palimpseste et rémanence », comme le dit Jean-Louis Bernard, dans ce voyage, révélés : « Oui tu as raison / le souvenir d’un savoir / c’est un beau pays ». Avec ce poète, tout connaisseur du parcours gracquien ira du Château d’Argol en passant par La Presqu’île et Le Rivage des Syrtes jusqu’au Balcon en forêt et même pourra se retrouver en visite aux côtés d’Un beau ténébreux, chez Le Roi Cophétua,
selon un itinéraire où la terre et la mer ont leurs exigences à notre
égard, passagers du temps que nous sommes et comme le rappelle à demi
mots Martine Morillon-Carreau, : « Carrefour des routes / à travers ses grands silences / ce n’est que la mort », « Avec une nuance de folie /…/ au flanc de la ruine ». La solitude de l’être : « on ne trouvera guère à qui parler / il me semble », « Chemin perdu où l’on s’est égaré » entraîne un regard désabusé mais embué de souvenirs, l’âge venant, « Tout est condamné / la face usée de la terre / ce n’est pas ma faute » et ce constat poignant « il faut croire / - temps suspendu – l’air plus léger des rêves / et veiller », ainsi que le fait Aldo dans la chambre des cartes ou grange dans son fortin de la forêt des Ardennes, « un secret si près du sacré »,
où rêves et souvenirs s’enchantent et nous enchantent quand l’espace
s’accroît de l’invisible errant, ce dialogue prégnant de mémoire et
d’espoir, comme si « Fête grandiose la mort / avait cessé de bâtir le piège inexorable » parce que « la vie est ailleurs / tu l’as dit ».
Un livre fort que cette cinquantaine de poèmes qu’il faudra décrypter
et qui laissent à penser, bien mis en valeur par une belle
présentation, et qui confirment le talent multiple de M. M-C.
- Sur Ecoute la mer, petite oreille éditions unicité 2019 :
- Sur ET PUIS QUOI D'A VENIR éditions Transignum 2021:
sur Babelio :
<< Martine Morillon-Carreau,
directrice littéraire
de l'excellente revue Poésie/première, poète, nouvelliste et romancière, publie
aux Editions Transignum un poème accompagné d'encres de Marc Bergère et traduit en regard dans la langue de Shakespeare par Patrick Williamson. Je parle d'un poème mais, sans
vouloir pratiquer l'écriture inclusive (horresco referens), on doute s'il
s'agit aussi de plusieurs poèmes comme induirait à le croire la page de titre.
L'Indécis au Précis se joint, et ce(s) texte(s) revêt(ent)... grrrrr !!! une grande
unité. Plusieurs parties se succèdent donc, précédées de majuscules en
caractères gras qui les distinguent, les vers n'en comportant pas sauf afin de
marquer la structure d'une strophe. L'apparente fluidité du propos ainsi se
soutient de divisions invisibles, incertaines et mobiles comme il convient au
flot de la rêverie. Une cascade s'y contemple d'ailleurs, "tout ceci
vibrant / et si étrange au fil de l'eau".
C'est presque une interrogation métaphysique :
"cette foudre/qui [...] désigne / l'instant / sans repentir / comme une /
force d'origine". Foudre héraclitéenne, «l'instant / sans repentir » fuit
avec l'eau cascadeuse d'un temps qui ne l'est pas moins. On ne se baigne jamais
deux fois dans le même fleuve.
Avec tonalités à la Kant pour suivre : « dans l'obscurité […]/ Il y a quelque
chose/une/présence… », telle la chose en soi ? « indistincte encore/ derrière /
le mystère des mots ». Advient alors le langage (« Un mot/soudain/abolit ta
solitude »), à travers quelque songe où arbre mort et arbre plein d'une « sève
obstinée » se font face de part et d'autre du « Basalte » qui domine la rive
dans « son évidence / sombre ».
Des jeux de lumière debussystes nous conduisent
plus loin, « Et sans fin dirait-on », mais on n' échappe point à «
l'effacement/bientôt annoncé/dans l'obscur/du soir ».
Et la disparition devient poème, le chemin des
mots continue « dans l'ellipse » depuis ce paysage onirique « sans plus de toi
ni moi » jusqu'à « la trace haletante/en la clarté clairière
au-delà/au-dessus/du silence ».
Riche d'une multiplicité de sens - on perdrait à
les expliciter toute la magie du poème et il ne faut pas figer les
interprétations - Et puis quoi d'à venir s'enveloppe de charmes sensoriels,
dans sa belle édition pleine d'échos anglais et de couleurs à l'encre.
« dans
l'ellipse
Tout ceci vibrant
et si étrange au fil de l'eau » >>
Michèle Duclos sur Terre à ciel :
- Michèle Duclos, dans Poésie sur Seine numéro 104
<<J’écoutais ce matin une émission [...] où l’on rappelait que
pour Héraclite, les mots, le langage verbal
sont incapables de rendre compte du véritable réel que l’on ne parvient
au mieux qu’à suggérer par des équivalents imagés, des métaphores… une approche
philosophique défendue aussi par le grand poète et penseur Yves Bonnefoy pour
qui le langage détruit la belle unité d’un Tout que
peut seulement suggérer la musique ; imperfection du langage pourtant
indispensable pour ouvrir une brèche dans ce cosmos ‒ l’Être ? ‒ qui
nous baigne, qu’arrive à dire l’élégante suggestion minimale du haïku, une
forme poétique ailleurs souvent pratiquée par Martine Morillon-Carreau [...] C’est ce que je tente ici d’apprivoiser en me heurtant à l‘expérience –
ontologique ? ‒ présentée par la poète, d’entrée, brutalement comme
une expérience foudroyante (« foudre / qui aveugle et dessille / signe et
désigne ») dont les premiers mots aux sons rudes rendent la violence
pourtant « désirable » et comme « un songe
étranger ». Une « Apparition / disparition », « Instant d’un
saisissement / dans l’ellipse ». >>
- Irène Krassilchik :"J’aime la lumière de tes mots, si bien renforcés par les exquises
perspectives visuelles de Marc Bergère. Merci d’être à l’écoute de ce qui est
capable de conjurer le vide - et de le partager"
- Alain Duault :
"Il est beau, ce livre […] J'y ai retrouvé cet art qui est vôtre de la
concentration extrême sur ces instants de foudre qui balisent notre vie, sur ce
battement systole/diastole qui, avec l'ultime secours des mots au bord du
gouffre, bat en "Comprendre / Ne pas comprendre".
Car toujours votre écriture au scalpel se tient au plus près du "mystère
des mots", avec ce "quelque chose / désirable / infiniment / et qui
résiste". En lisant ce parcours buriné, on entend, j'entends cette
douloureuse aventure de vivre qui frémit dans les blancs de la page, jusqu'à
cet instant bref que l'écriture voudrait faire longtemps résonner quand
"Un mot / soudain / abolit la solitude".
Jeu duel encore, battement systole/diastole toujours, entre l'espoir pourtant,
face au vide, d'"Une / circulation qui ferait signe / de sève obstinée /
vie dansante" - et l'angoisse de la finitude avérée.
Mais "Comment croire à l'effacement" ?
Au bout du temps, "Quoi d'effacé perdu entre / leurs mots" ?
Comme on marche au milieu d'un champ, à la recherche d'une fleur oubliée, d'une
odeur perdue, du souvenir d'une enfance, d'un élan qui nous a pris un jour, qui
nous a emporté, puis qui nous a porté, puis qui nous a déporté dans ce camp du
silence.
Espoir pourtant : "De ce qui a disparu cependant / quelque chose /
demeure".
Alors cette quête obstinée, ouverte sur l'énigme : "Et puis quoi
d'avenir".
Qu'ajouter alors à cette vibration du monde qui reporte à la solitude :
"Seulement une trace / haletante / en la clarté clairière au-delà
au-dessus / du silence".
Beau parcours tendu comme la corde d'un arc, ou plutôt d'un violon - avec le
contrepoint des lavis "japonais", idéogrammatiques, de Marc Bergère :
vous savez mener loin le lecteur, chère Martine, aux marges d'un silence
habité.
(Et soudain je comprends pourquoi vous avez aimé et publié mes "chiens de
solitude"...)
Merci pour cet écho, pour ce livre précieux.
[...]
- Jean-Paul Plantive : << J'ai lu avec beaucoup de
plaisir tes textes (bien accordés aux peintures) dont le dépouillement et
la force sont indissociables. Tu me parlais de la captation de l'instant:
il me semble que cet instant se situe sur la pointe extrême entre la prise de
conscience de la disparition des choses (c'est-à-dire de sa propre fugacité) et
l'appel du poème à venir, entr'aperçu, qui lui permettra de survivre à travers
l'éclosion des mots. De ce point de vue, le texte qui commence par "de
ce qui a disparu cependant" (et que j'aime tant) est emblématique de
ce petit recueil d'une grande unité. Les peintures en regard, par leur grâce et
leur légèreté sont tout à fait dans cette même tonalité >>.
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