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Alain Fabre-Catalan & Eva-Maria Berg, Le Voyage immobile, Die Regungslose Reise, dessins de Jean-Marie
Cartereau, éditions du Petit Véhicule, 2017, 25 €. Les deux poètes – l’un français, l’autre allemande –
qui se sont mutuellement traduits, accomplissent ici un « voyage
immobile » depuis leurs villes, Strasbourg et Waldkirch, jusqu’à – « passé qui ne passe pas
» – cette
mémoire des camps de l’horreur nazie où, comme le dit Alain Fabre-Catalan :
« l’image du monde / vacille […] / dans
l’amoncellement informe des corps / qui s’envolent en fumée jusqu‘au dernier
vivant ». Jusqu’à l’irréparable
effacement pointé par Eva-Maria Berg : « à l’endroit du meurtre / des
enfants femmes hommes / même plus aucune / trace d’un seul humain ». La couverture noire, carrée, sobre cadre pour l’un
des très beaux, sombres – et d’abord mystérieux – dessins de Jean-Marie
Cartereau, annonce le recueillement douloureux, l’horreur incrédule, qui
animent le dialogue des deux poètes. Comme une réponse à l’épigraphe désespérée
de Paul Celan : « […] personne ne
soufflera la parole sur notre poussière. Personne. » Car, si les auteurs savent en effet, selon les mots
d’Alain Fabre-Catalan, que « Contre le feu de l’oubli, / la litanie des
noms est la seule réponse », ils espèrent, « sur la longue
route de notre humanisation », que puissent encore nous advenir
« des chants à chanter »… À la vraie poésie alors, celle qui
oublie « ses atours faits de joliesse et de gratuité », de
devenir – « comme une bouteille jetée à
la mer » – recours « contre ce qui reste sans nom » ;
tandis qu’au fil des poèmes, dans les dessins en camaïeux de gris, parfois
rehaussés de flamme, le lecteur peut entrevoir fumée, cendre, « esquilles
et fragments d’os » ‒ en hommage et trace des innocents ainsi
assassinés.
(par Martine Morillon-Carreau, Poésie/première 72) |