Un crayon
à la mine très fine…
(article de
Martine
Morillon-Carreau, 7 à dire n° 22)
A propos de
Ce
peu d'éternité de
Jean-Claude Albert
Coiffard (
Sac
à mots, 2006)
Approchez-vous du livre /car je
vais parler bas. Le premier vers de ce beau recueil des
amitiés donne le ton. Y sera presque constante l'adresse,
tant au lecteur inconnu qu'aux amis poètes, auxquels
Jean-Claude Coiffard rend de fraternels et sensibles hommages de
lecture, aux aimés - vivants ou disparus
- invités à la confidence dans la ferveur et la
tendresse mélancolique des souvenirs
évoqués, partagés, mais tout en
demi-teintes et nuances, avec la discrétion, la pudeur, de
celui qui dit vouloir préserver le trop intime, le trop
intense : Je garderai
cela / de peur de
le briser.
Car, quand avec Ce peu
d'éternité s'ouvre doucement / la malle aux
souvenirs de J-C Coiffard, poète funambule des songes,
qui aimerai[t]
retrouver / la
féerie du soir / lorsque la mer se jette / dans le giron des
songes, poète attentif au bruit de feuilles mortes / dans
les allées du cœur, de la
mémoire peut aussi surgir l'insoutenable, qu'il ne laissera
qu'affleurer: le
plafond qui tangue / et les murs / couleur de morphine.
J-C Coiffard s'est en effet donné des
règles, qu'il nous propose comme un art poétique
de la litote : Surtout
ne pas tout dire / ou bien à demi-mot. Par
tempérament personnel, respect d'autrui,
efficacité stylistique impressionniste surtout, il
préfère parler
tout bas / parler tout simplement. En
peinture n'admire-t-il pas la touche de Sisley,
ce peintre de la nuance chez qui l'harmonie et la mesure savent si bien
exprimer la force et la diversité de l'émotion ?
Ainsi le poète a-t-il trouvé la
délicatesse d'un
crayon / à la mine très fine / pour s'approcher
d'une âme.
Celle qui se découvre à nous est vibrante, en
tension douloureuse entre foi religieuse et doute : Seigneur / je crois en
Vous / mais que la nuit est noire,
s'exclame le poète marqué par les
épreuves de la vie comme par le grand scandale du mal
infligé aux innocents. Le poème simplement
intitulé " Lettre ", mais dont le lecteur
découvre vite le destinataire, pose l'éternelle
interrogation humaine, qu'ont actualisée les horreurs du
XXème siècle : la nuit / et le brouillard /
dans les yeux d'un enfant / mon Dieu / le fallait-il ?
Mais la figure de l'enfant va aussi, dans la nostalgie, s'associer au
souvenir des années enfuies, ou, retrouvant comme sa
vocation naturelle, à la joie, à
l'élan de la vie, puisque ce sont justement les moments
privilégiés passés avec le petit-fils
très aimé, qui révèlent au
poète cette intensité existentielle seule parfois
capable de faire échec au temps : Et je cueille l'instant /
éclairé par la grâce / ce peu
d'éternité / serait-ce le bonheur ? Une
intensité comme un surplus d'être, dont le lieu
serait le poème, où s'éternise et
s'abolit l'instant dans la paradoxale, l'inconcevable certitude de la
précarité humaine : J'habite le poème /
et j'habite le livre / l'écume qui se fane / sur le sable
des mots...
(Martine
Morillon-Carreau 7 à dire n°
22)