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" Le chiffre profond que polissait Orphée ... "
 Roland HALBERT : Chanterelle Hommage à Sainte Cécile 
(2008, FRAction, 52 pages, 20 €)
(par Martine Morillon-Carreau, Poésie/première n° 45, nov. 2009-fév. 2010, 12 €))

    Le texte  de Roland Halbert Chanterelle, Hommage à Sainte Cécile, dit par Jacques Weber, à Paris, le 16 mars 2008 à Saint-Gervais, est poésie à méditer. De la disposition décalée des lignes, où se voit / s'entend l'égrènement de notes, arpèges, mesures, jusqu'au complexe entrelacement de révérence-amour, cruauté, connivence entre le locuteur-poète et la patronne des musiciens, en passant par l'incertitude égarante entretenue sur certains noms et identités, le lecteur trouvera vaste matière au plaisir poétique, si souvent apparenté à la ferveur d'un regratteur de palimpseste !

    Car d'abord, la musique " porte " le livre ; par son sujet évidemment, puis - Cantantibus organis - par les neumes et grégoriennes portées jalonnant son cheminement musical, poétique, spirituel, de leur exhortation à écouter le Chant, la Parole ; et surtout par l'âme même du Poème, " aux couleurs rompues " et " provoqu[ée] en pleine veine " ; mais pour " une Annonciation aiguë " de " la Concordance " et " prosodie secrète " ; " la part des Anges " ? Âme nourrie d'ancienne musique sacrée comme de jazz et bleu blues (R. Halbert est l'auteur d'un vibrant et passionné Blues pour Cadou). Âme innutrie, en amont, du tutélaire enseignement d'Orphée, ce double et précurseur mythologique de la sainte ; tous deux à leur tour doubles possibles du poète, voué, s'il prétend à la dignité du nom, à leur Imitation, comme le saint jadis engagé, jusqu'au don total, dans celle de Jésus-Christ - Imitation où l'exercice poétique se confond, jusqu'à la mort, avec " la vie entière " (tiens, Cadou ! Nul hasard en la visite imprévue des mots). Alors, au Grand Jeu des masques du " je ", se profile une autre figure du poète : l'héautontimoroumenos baudelairien, " victime " (martyr ?) et tout à la fois " bourreau ", même si celui-ci, " au poing terrassé par la tendresse ", sera finalement proclamé " innocent " dans cet Hommage où l'auteur brouille aussi malignement les pistes. Au labyrinthe du livre, les chemins égarent plus d'une fois le lecteur vers d'autres masques ou miroirs : autant d'images spéculaires ou, comme aurait dit Pessoa (Alberto Caeiro et Lisbonne fournissant aimablement le premier indice), autant d'hétéronymes du poète ! La lecture, ainsi poursuivie avec moins de naïveté, mène à une déstabilisante ère du soupçon ; et en particulier quant à l'existence de l'énigmatique Laurent de Beralt. Un doute qui n'est peut-être que leurre supplémentaire, ourdi par l'érudite, bienveillante et finalement éclairante cruauté de l'auteur, qui engage  son lecteur, par delà le non-lieu / non-temps de l'œuvre, à accompagner le poète, par " les étages rouges de la Joie ", jusqu'au "jardin clos des cantiques " en un " Temps délivré des sabliers  / et des horloges tracassières", dans l'éclair-éternité  de l'instant poétique.

    Mais gardons confiance : sainte Cécile, " la sœur tourière des poètes / et du silence " (quel beau titre !) nous " protège / du malentendu / et de son éteignoir " !

(par Martine Morillon-Carreau, Poésie/première n° 45, nov. 2009-fév. 2010)


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