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Tel qu’en un autre enfin…

 Aurélie Loiseleur : Hommage à Poe 

(2007, La Dame d’Onze Heures, 113 p. 12 €, avec 15 encres d’Isabelle Raviolo)

 

 (par Martine Morillon-Carreau, Poésie / première n° 44 )

 
    Parler de Poe, depuis Baudelaire et Mallarmé, c’est parler DU Poète. Celui pour qui, à l’instar de l’auteur du « Corbeau », « notre monde est un monde de mots ». L’humour apparent de la question « Croyez-vous en Poe ? » suggère le sérieux - travesti - des enjeux : religion du Verbe, mort et résurrection de Poe…et / ou de la poésie…
    Car l’originalité du livre est là : malgré son titre, malgré la répétition incantatoire du nom, cet Hommage à Poe ne relève pas de l’encomiastique traditionnelle, mais offre – dans et par son écriture expérimentale – une véritable méditation poétique (spécialiste de Lamartine, A. Loiseleur est l’auteure de l’édition critique des Méditations poétiques dans Le Livre de Poche ) d’un tout nouveau genre cependant : iconoclaste et cruelle, jubilatoire ou tragique, en marche toujours, par son invention verbale savante et débridée, vers une création personnelle de poésie.
    L’auteure y joue le grand jeu acrobatique d’un contorsionnisme des sons et des sens, déconstruisant reconstruisant les mots, forgeant des néologismes, en des séries de glissements  décalages, sonores et sémantiques, qui permettent, comme dans le rêve, de passer insensiblement d’une vision à une suivante empiétant sur la première, avant d’en générer d’autres, où le cauchemar le dispute à l’incongru. Se demandant ainsi : « Poe délyrait-il » ? on est invité à la fois à compatir et craindre, car « celui-là sent la souffre ».  Mais, si l’auteure se rappelle  « que la mort triomphait en cette voix étrange » et accumule les indices d’une « Extinction de Poe », par delà ce « règne de strictesse » « au temps des Poe jetables »,  la « mise en sommeil de Poe » se transfigure (quel que soit l’humour de la « section para-religieuse ») en « dormition », et le livre n’en proclame pas moins « Poe sur / vivant » : peut-être « épars dans le futur » en ces Hugo, Lamartine, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Jaccottet, Bonnefoy…, ici et là nommément convoqués, ou suggérés allusivement.
    L’ambiguïté subsiste pourtant, dans les derniers mots : Poe y apparaît « repoussant » ; certes ici « dans son réduit de lumière », car, A. Loiseleur l’a affirmé plus haut, si « on le coupe / Il repousse » : comme le Phénix, la poésie renaît de ses cendres et brûle (en) chaque nouveau poète. Mais albatros exilé sur un pont de navire, alcoolique névropathe, mangeur d’opium ou buveur de laudanum, au « regard immonde », mourant détroussé « sur le trottoir plat américain », le poète n’est-il pas également « repoussant », dans l’acception adjective du terme ?
    L’essentiel, quoi qu’il en soit des travestissements et « peut-être », reste de faire œuvre, d’ouvrir sur l’œuvre, à l’image de Poe et du poète faisant « ouvre d’art », le livre  s’ouvrant justement sur l’art des encres d’Isabelle Raviolo, à l’onirisme parfois inquiétant, qui font suite au texte et prolongent  plastiquement le « Rêv’ivre : Poe frappant » de l’auteure.

 
 (par Martine Morillon-Carreau, Poésie / première n° 44 )

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