biobibliographie | recueils | poèmes dits | motscouleurs | sur la poésie | recensions | échos critiques | haïsha haïku | Sac à mots édition | Revue 7 à dire | liens |
Honneur à Michel-François Lavaur, facteur-poète !
(par Martine Morillon-Carreau), 7 à dire n° 47 et dans l'ultime numéro 176, janvier 2013, de "Traces", la foisonnante revue de MFL : 50 ans de poésie !) Cliquer sur l'image pour agrandir
11 juillet 1935, Michel-François Lavaur naît en Corrèze, à Saint-Martin-la-Méanne. Précisément, dans la poste de Saint-Martin dont sa mère était la Receveuse. Et il est bien tentant d’imaginer cet original lieu de naissance comme devant prédestiner aux lettres, dans tous les sens du terme, celui qui plus tard, au Pallet en Loire Atlantique, deviendrait instituteur (i.e. «chargé de l’instruction et de l’éducation» des enfants : le beau, le vrai mot, de loin préféré par M-F.L. à ce professeur des écoles de l’officielle périphrase à la mode), puis et jusqu’à sa retraite, directeur de cette même École Publique du Pallet - mais toujours poète…et passionné d’art postal ! Car ses correspondants ont espéré comme une fête (Jour de fête,
comme chez Jacques Tati, celui où l’on recevait une lettre de Lavaur) avec une
impatiente curiosité des yeux, de l’esprit et du cœur, l’arrivée de ces
enveloppes singulières, dont les formats et papiers inattendus s’ornaient de
dessins et textes à la fantaisie colorée, humoristique, ludique, parfois aussi
mélancolique – la chaleureuse offrande de son amitié en poésie. Le bonheur
d’une découverte à savourer avec une
attentive lenteur, chaque mot de la brève, chaque trait du dessin,
chaque élément du collage important à la délectable compréhension de
l’ensemble. Avant de découvrir et déchiffrer le contenu de l’œuvre-enveloppe !
Des pages d’une écriture serrée, au crayon, occupant souvent le verso d’un
poème ou dessin : le poète, ancien des Beaux-Arts de Bordeaux, est aussi
dessinateur et sculpteur. Des lettres, donc, comme autant de simples traces :
discrètes, effaçables ? Une revisitation personnelle de l’omnia
vanitas du Qohélet ? Car chez Lavaur, qui aime tant jouer, comme
un enfant malicieux et tendre, avec les mots (« la nuit l’effraie / il ne
sait plus / par quel hibou la prendre ») - son Je de mots¹ -
ne va pas sans sérieux ni saturnienne mélancolie : « la bête obscure
est là qui te regarde. / Le jour la dilue mais le noir la révèle / elle épie
tes faux-pas et te harcèle / invisible et sûre d'elle // un jour ou l'autre
elle t'aura »². Ou bien plutôt des
marques, rendues par le poète épistolier volontairement difficiles à pister, décrypter, une invitation à l’attention patiente
nécessaire à toute lecture, celle surtout de la poésie : tâche aux fins
initiatiques mais dont les moyens relèvent, pour lui, des simples choses de la
vie, « Un peu / de la patience du pêcheur qui entreprend de dénouer une
perruque »³ ?… L’une et l’autre hypothèse sans doute. Mais des traces. À la fois humbles et ambitieuses. Qui, par chemins de traverse, nous conduisent vers ces autres, méritant d’ailleurs mêmes qualificatifs : SA revue Traces – la grande aventure de Michel-François Lavaur. « J’ai toujours souhaité Traces modeste et singulière » m’écrivait-il ainsi, en novembre 2003. Modestie de la présentation matérielle certes, mais alliée à une ambition à la fois poétique et humaniste de grande envergure, sans concession : en témoigne, ainsi qu’on le lit dans maint numéro de la revue, cette profession de foi du poète et revuiste-éditeur : « TRACES recueille et montre les traces de l'homme quotidien exprimé par le poème, face au mal de vivre comme parmi les joies de l'existence; l'artisan du langage, trouveur ludique mais rebelle au jeu de la littérature; l'homme nu, témoin non béat mais conscient, présent au monde et soucieux d'agir, par le poème-acte, aussi, sur le devenir humain; épine de révolte dans le coussin des conformismes, ferment de liberté dans les rouages du robot. » Tout est dit ! De cette revue, il a aimé se présenter comme le facteur (tendre clin d’œil à la poste maternelle) : « Facteur de revue / et fauteur de légendes / […] Je suis facteur / comme on diffuse / des messages secrets » revendique le poème doublant, par son ombre de mots manuscrits, le charmant dessin stylisé d’un facteur à bicyclette, barbu à l’instar du poète, à la tenue au demeurant fort peu administrative ̶ un costume de joyeux petits graphismes géométriques ̶ mais portant casquette, un sac supposé postal en bandoulière, et qu’on devine, tandis que la main gauche (celle du cœur) grossie par le premier plan, légèrement en avant du guidon, s’apprête à distribuer la revue dont le célèbre logo Traces (créé par Paul Dauce) s’affiche en fier plastron du cycliste. Un travail incluant aussi « fondateur, éditeur, directeur, rédacteur, auteur, illustrateur, manufacteur,… » mais la liste est ouverte, à laquelle il faudrait ente autres tâches, et toujours selon le texte précité du facteur, ajouter celle de diffuseur : « Je colporte / mes tracts et mes traces / de poésie / au porte-à-porte ». L’entreprise, menée
de janvier 1963 à 2011, sur quelque cent soixante-quinze numéros, dans la
mythique « fourbithèque » de sa maison de Sanguèze, au Pallet, a
abouti à la publication en rangs serrés d’innombrables poètes – certains déjà
connus mais le plus souvent ignorés, auxquels leur découverte par Lavaur a
donné une première chance. Sans compter le volet éditorial de Traces
(premier recueil sorti en janvier 1961, deux ans avant la revue) : Lavaur
a ainsi publié en livres ou plaquettes une centaine d’auteurs, parmi lesquels
Michel Baglin, Gilles Baudry, Georges Cathalo, Odile Caradec, Jean Chatard,
Clod’Aria, Jean-Claude Coiffard, Dagadès, Alain Lacouchie, Gilles Lades, Jean
Laroche, Norbert Lelubre, Alain Lebeau, Robert Momeux, Claude Serreau,
Simonomis, Jean-Pierre Thuillat… On mesure ce qu’il a
fallu à l’éditeur Lavaur de temps, d’énergie, de générosité, de désintéressement,
pour parvenir à ce bilan d’activités ! Quant
au Lavaur poète - « JE multiple4 », auteur de plus de
trente titres - ses voix sont volontiers polyphoniques. Portées souvent par une
forme brève : Haïkaï est le titre d’un de ses tout premiers recueils, Rebus
et coutumes (Traces, 2002) sont des « brefs de phonèmes ».
Et puis, comme en une autre arche de Noé, un véritable bestiaire hante
l’œuvre. Dans les nombreux poèmes pour enfants bien sûr, tel, serti dans
un dessin du poète, ce plaisamment pédagogique
« Hibouquine », qui « au clair de la lune/ vous dit :
Bouh ! / […] c’est chouette/ la lecture ! ». Mais les animaux
peuplent également les textes pour adultes. La Chienne des sables5 donne au recueil son titre et son poème
central : « Notre chienne des dunes […] soulève une patte / pour guetter
l’insolite / Elle écoute chanter les poissons dans les arbres ». C’est
encore l’animal qui préside au titre de Quand l’isabelle encense (Traces,
1988), haïkus et poèmes brefs, ou L’écureuil à Gilles, conte (Le Pré de
l’âge, 1992). Et chaque poème d’Argos, sans cesse enrichi de nouvelles
versions, est dédié à un animal, le dernier étant… « le lavaur »,
« animal éphémère » pour qui « vivre en poésie » n’est
possible que dans et par son « biotope » familial ! Inutile donc de
préciser l’importance des lieux pour le poète, fidèle à son Occitanie natale,
au chant de sa langue (dans Aubiat par exemple, bilingue
occitan-français, Traces, 1984) mais sensible aussi aux légendes
bretonnes dans La Dame blanche (Traces, 1999). La rencontre des
êtres a également beaucoup compté dans sa poésie qui rend volontiers hommage
aux femmes. Les passantes (« Il y a dans la rue / des femmes inouïes6 »)
mais surtout son épouse, Nouche, à qui il dédie, dans Les ouches
du pont (Traces, 1986) un long et vibrant
« épithalame » : « Soyons de ces oiseaux / que chante
Apollinaire // Pihis qui n’ont qu’une aile / et qui volent par couple » … Le
poète pourtant, malgré ces fortes attaches, se sent, se sait, irréductiblement
seul, lui cet « obstiné téméraire qui doit s’élever sans filet, sans
secours, sans public […] jusqu’au point de non-retour 7» ! Le
destin tragique de notre humaine condition, mais exprimé sans emphase par
Lavaur, seulement dans la justesse pudique de cet humour désenchanté : « Si
j’écris des poèmes/ c’est pour mon jumeau/ mais je suis fils unique ».
Lisons et relisons donc quand même Lavaur – en profonde fraternité humaine et
poétique ! 1-3- 4-7 Je de mots, le dé bleu, 1978. (De
précieux « propos autour de l’écriture », un hymne aussi à l’amour de
la poésie et de l’être humain). 2
« La Bête », Argos VI, petits éléments pour un bestiaire,
Le pavé, 1984. 5-6
La Chienne des sables, sur des dessins de Claudine Goux, Traces,1985. |