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Le Temps désuni de Gilles Lades : vers « l’enfant qui vibre en nous » (Sac à mots édition, 2005)

(Martine Morillon-Carreau, 7 à dire n° 17)

    Baudelaire, on le sait, définissait le génie poétique comme l’enfance retrouvée à volonté. Après plus de trente recueils de poésie, dont Les Forges d’Abel, prix Antonin Artaud 1994, une pièce de théâtre et des récits, Gilles Lades  nous offre justement, avec Le Temps désuni, aux éditions du Sac à mots, la quête émouvante et hasardeuse de cet « enfant qui vibre en nous » ; un enfant sachant cueillir « l’aile légère du geai mort […] pour ce bleu que rien n’a taché ».

    Comme dans Saisons l’éternel présent (Traces, 1989) Gilles Lades avec Le Temps désuni, convoque explicitement dès son titre le motif du temps, omniprésent dans le recueil. Mais, malgré « la pluie sublime des saisons », et à contre-emploi du langage courant, où la métaphore liquide du continu dit plus volontiers l’écoulement du temps, le poète évoque au contraire - matérialisée par le découpage des vers - la brusque suspension de cette illusion de linéarité, fluidité temporelle : « il y eut  / un tranchant de main entre le monde et moi » ; une comparaison occupant deux vers et dans laquelle vient s’enchâsser la métaphore du tonnerre dans le second, insiste sur la violence du processus : « Le temps comme une porte épaisse / a tonné dans le dos ».

    Âpres en effet, parfois cruels, le monde intérieur suggéré, la mémoire rappelée, celle ainsi de la « mère à l’angle du silence », de ses « cris éclatés […] broyés à cœur » ;  mais c’est toujours dans la pudeur et la retenue que l’auteur suscite l’émotion du lecteur, appelé à partager toutes les vibrations de la tendresse et de la fragilité sous l’extrême tenue d’un style à la densité elliptique.

    De l’espoir aussi pourtant lorsque, disant « l’enfance […] revenue », le poète ajoute : « je sais qu’en moi un vide s’est comblé ». Mais les dernières images douces-amères le comparent à « l’émerillon apprivoisé » dont l’aile « se croit brisée par la caresse de l’oiseleur » et quelle mélancolie chez ce « pèlerin d’effacement » sur « la barque de paix grise », même si ses chemins vont « dans une lumière grandissante » !

    C’est que non content de fuir, le temps ici « perd les images de sa fondation » : comment donc éluder la « tristesse » quand,  « la mémoire aux épaules » et « les yeux noués forclos de vie », on en arrive à cette constatation que « le temps est seul à vivre » ? Que reste-t-il alors, sinon « dessine[r] […] le bruissement / avec les ruines du rien » ? Forte définition de l’écriture ! Et jusqu’à ce «long poème / plus fort que [s]oi », « merveilleux temps de renaître » et «sommet de liberté » – entre veille et rêve – lorsque  « tout un monde est à l’embarcadère / et qu’il attend d’être nommé»…

(Martine Morillon-Carreau, 7 à dire n° 17)

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