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Norbert LELUBRE, " de la musique avant toute chose " ?  
(par Martine Morillon-Carreau, Europoésie n° 24 puis  7 à dire  n° 4 et Traces n° 161)
À propos d’Histoire sans limites (Petit Véhicule, 1998, 282 pages)

    " Tout ce qui respire est musique " écrit Norbert Lelubre. Comme ses poèmes, où le souffle lyrique s'appuie au travail constant des rythmes, des sonorités. Comme le poète lui-même, pianiste, violoniste, accordéoniste, bandonéoniste.
    Quoi d'étonnant alors si Histoire sans limites (Ed. du Petit Véhicule, 282 pages) - où sont rassemblés des textes de 1930 à 1998 - est un livre de l'attention aux bruits, aux sons, à la musique, et ce dès le premier poème : " Petites cloches nuit mutine [...] / et comme dans les nuits de Noël / un pas monte dans la mer "

    Né le 13 juillet 1912 à Nantes, Norbert Lelubre entre en poésie entre quatorze et quinze ans. Inspiration d'abord romantique, nourrie de ses lectures ; puis surréaliste, actualité oblige ; avant qu'il ne trouve voie et voix propres dans la mouvance d'un symbolisme revisité.
    A Paris, il va rencontrer Eluard, mais cesse de le fréquenter quand celui-ci jette ses anathèmes contre la peinture abstraite ; il y fait aussi la connaissance de Breton, rue de Seine, dans son magasin de peintures et objets insolites ; ami surtout de Desnos, dont la liberté d'esprit lui convient bien davantage que la rigidité et le sectarisme du pape du surréalisme. Car N. Lelubre est avant tout un esprit indépendant, et qui très vite ne va plus trouver son compte dans les pesanteurs du Parti, un intermède de six mois, en 1938.
    Puis la guerre ; blessure le 14 mai 1940 ; un éclat d'obus. Le stalag jusque fin novembre. De nombreux métiers se succèderont par la suite : représentant, employé de banque, photographe, mais surtout professeur de piano et d'accordéon...

    Sous le signe donc de la musique, toujours ; et qu'on retrouve en bien des titres d'Histoire sans limites, comme en la structure même de plusieurs textes. Chansons pour des mélancolies, avec ainsi une " sérénade du temps perdu ", une " chanson du vieil ami ", une " complainte des sédentaires " ; puis Cantate pour une mort , Deux Chansons et bien sûr les Ballades : "  grande ballade le long de la mer ", " ballade du lac ", " ballade à la fleur indienne ", autant de références non à la forme poétique mais plutôt à la forme musicale en cinq mouvements, avec largo initial et final clôturant sur accélération et forte : " Plus fort et plus vite ! D'un horizon qui les vomit à l'horizon qui les dévore ! De la gueule de glace à la gueule de flammes... Plus fort ! Fort et plus vite ! "
    S'y perçoit cependant encore souvent comme un écho de la danse étymologique originelle de la ballade poème : " j'entends leur valse qui s'éloigne...le bruit de leurs bottines bleues sur la mer ".

    "...le bruit de leurs bottines bleues sur la mer "... Sonore, certes, musicale, la poésie de N. Lelubre, mais également tellement visuelle : des images s'imposant d'emblée au lecteur. Charme - au sens fort - d'évocations magiques. Invitation au rêve du " beau navire échoué qui dormait dans la toile des tarentules ", et non sans inquiétude ; tandis qu'une " aurore en robe d'enfant [qui] passe et vient jouer sans rien dire " arrête, en cette jeunesse, cette justesse du jour évoqué, de la formule employée, le cours du temps.
    Et toujours au plus juste le choix du détail significatif qui se fait aussi au plus près des êtres et des choses les plus simples : " Les enfants de son temps cruels et dénicheurs / au cours des buissonnières / riaient en mutilant les chats et les crapauds. / Elle avait vu cela, vu aussi les vipères / fasciner les oiseaux. "
Simplicité, cruauté nue, où se lit sans pathos la faille de notre rapport au monde, écartelé entre émerveillement et horreur, puisque " tout pollen porte une imposture " ; le lieu même, la place exacte du poème, de la poésie. Seul salut promis sans doute, car " Assez [...] des prêtres eunuques ! [...] Assez des dieux grotesques ! " alors que  " du côté de la poésie " les limites enfin s'effacent, où le poète pourra s'affirmer " libre libre libre ".
    Or c'est bien effectivement cette tension vers une liberté à conquérir, vers une réappropriation poétique de sa condition, que suggère le poète dans son Histoire sans limites, un titre reprenant celui de son premier recueil, publié par Chiffoleau en 1957, avec en incipit : " ici commence une histoire sans limites ". Une histoire d'amour et de livres, de mer, de fleuve, de temps arrêté l'espace de l'écriture, afin que, selon la dernière phrase de ce premier poème " continue l'histoire sans limites " ; celle promise sans doute par ce " matin de toujours " qui se montre - l'Epiphanie avant  la Transfiguration - en " enfant baroque ", en " écolier " : " il était l'éclaircie et nous étions libres ". Un enfant qui est promesse et lumière : " sa nature et ses apparences devaient tout au soleil " ; enfant musicien : " l'écolier commençait déjà sa musique [...] Deux ou trois notes, juste le nécessaire ".
    Parce que dans la poésie de N. Lelubre, où " lumière et cloches se confondent ", musique et lumière s'associent, tout naturellement ; parce que c'est finalement à la lumière que mène la musique, cette petite musique de l'écolier joueur de vielle, avenir et passé réaccordés, avec ce souhait, cette prière peut-être, du poète : " Emporte-nous dans ta lumière orange / Éveille-nous sous un soleil sans âge / et dépouillé de sa mélancolie ".

(par Martine Morillon-Carreau, Europoésie n° 24 puis  7 à dire  n° 4 et Traces n° 161)
- également utilisé en 4ème de couverture  pour le recueil de Norbert Lelubre Paraboles pour d'autres temps, Sac à mots édition, 2006 -

Norbert Lelubre est décédé en 2008.

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