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Odile Felgine : Jacques VILLEGLÉ : (Ides et calendes, 2001),
(article de Martine Morillon-Carreau, paru dans les Cahiers de La Baule n° 81)

La « cailloisienne » Odile Felgine (sa biographie de Roger Caillois est parue en 1994 chez Stock), et poète entre autres des « Si-Li », Grand Prix de la Ville de La Baule en 2001, a publié la même année, aux Éditions Ides et Calendes, un remarquable Jacques Villeglé, où elle analyse l’œuvre du « ravisseur d’affiches » dont le nom et les travaux se trouvent souvent associés à ceux de cet autre Nouveau Réaliste, son ami et complice de jeunesse, Raymond Hains.
       
         Son beau livre offre en cent trente-six pages – outre une cinquantaine de reproductions en couleurs des fameux « lacérés » de Villeglé, et in fine, dix-sept pages d’une biographie, muséographie, permettant de situer plus précisément le plasticien dans l’histoire artistique, littéraire, politique, voire dans les polémiques de son époque – cinq chapitres où Odile Felgine se livre à la très fine et dense étude d’une œuvre dont elle rappelle la grande cohérence, véritable « Comédie urbaine, dans l’esprit de Dante et de Balzac » : sans négliger d’initier le lecteur aux différentes techniques de l’arrachage des affiches, l’auteur, qui s’appuie souvent sur les déclarations mêmes du peintre (terme dont la problématique  se trouve d’ailleurs également évoquée), nous montre Villeglé procédant, dans la sédition originelle de l’esprit dadaïste, par « prédation créatrice ».
         S’emparant en quelque sorte de la Ville, pour « la faire surgir dans tous ses signes et sa symbolique, comme expression picturale du monde », le « décollagiste » qui affirme privilégier la spontanéité, se fait aussi « le releveur de traces de civilisation ». Mais, comme le dit si bien Odile Felgine, « la déchirure, cette image chavirante qui cache d’autres images, est peut-être la métaphore d’autres lacérations, d’autres désirs » et, même si pour l’artiste la dimension sociopolitique de son travail reste fondamentale, dislocation, déconstruction, détournement du réel qui se font finalement « langage » voire « poétique de la contestation », renvoient aussi au doute existentiel et à l’énigme du monde. Le plasticien, qui exalte le quotidien en prélevant les rebuts de notre civilisation urbaine, montre en même temps la mort sans cesse à l’œuvre dans ces déchets.

         Ainsi Villeglé, « poète de la brûlure », qui promeut le lambeau, la lacération, à la dimension d’un mythe, nous conduit bien, dans sa quête de la « peau scarifiée des murs », vers « la buissonnante inconnue poétique de la déchirure ». Et prédateur de ses affiches arrachées, déchirées, le plasticien, comme le conclut Odile Felgine, n’en devient-il pas également la proie, lui qui, les ravissant, leur transfuse une autre vie, la sienne même  ?

(Martine Morillon-Carreau, Cahiers de La Baule n° 81)

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